Eugène Onéguine
Eugène Onéguine TCE novembre 2021 © Vincent Pontet

Au Théâtre des Champs-Elysées, un Eugène Onéguine de Tchaïkovski en demi-teinte

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Pour la deuxième production scénique de sa saison lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées a programmé du 10 au 19 novembre 2021 le chef-d’oeuvre de Tchaïkovski, Eugène Onéguine, en faisant appel à un beau plateau de solistes français et russes, l’Orchestre National de France, le Chœur de l’Opéra de Bordeaux, le tout placé sous la direction de la jeune cheffe d’orchestre américaine Karina Canellakis.

 

Aborder l’opéra Eugène Onéguine, un ouvrage familier à nombre de mélomanes, c’est – comme pour la plupart des chefs-d’oeuvre lyriques – assumer une prise de risque non négligeable. Le défi relevé par Stéphane Braunschweig pour la mise en scène et Karina Cannellakis pour la direction musicale est-il pleinement réussi à cet égard ? Il l’est, mais partiellement.

A l’issue de la représentation, on a le sentiment d’avoir assisté plutôt à une pièce de théâtre mise en musique qu’à un opéra. La mise en scène de Stéphane Braunschweig – homme de théâtre s’il en est – y est évidemment pour beaucoup, mais pas seulement. Ce sentiment résulte aussi de la direction musicale qui semble parfois se borner à accompagner le drame plutôt qu’à l’impulser ; même si, chemin faisant, la direction de Karina Canellakis s’affirme au fur et à mesure que le drame avance, toute en tension après la pause.

Or, Eugène Onéguine est un drame de la passion, de l’échec et de la mort, qui requiert un souffle puissant : il a de temps en temps manqué à cette production.

Gelena Gaskarova et Jean-Sebastien Bou
Gelena Gaskarova et Jean-Sebastien Bou, TCE nov 21 © Vincent Pontet

Les sujets de satisfaction ne sont néanmoins pas totalement absents de cette production. Particulièrement  en ce qui concerne la partie vocale, certes inégale, mais qui offre, par moments, de belles séquences lyriques. Notamment grâce à l’implication du baryton Jean-Sébastien Bou qui incarne avec finesse Eugène Onéguine et emporte l’adhésion grâce à sa belle précision vocale.

Le ténor Jean-François Borras campe un Vladimir Lensky plus querelleur que douloureux, mais d’une belle facture vocale, surtout pour l’air dans lequel on l’attend, celui de la complainte pre mortem de son personnage: «  Où, où, où avez-vous fui jours dorés de ma jeunesse …? » (cf. la fameuse scène 2 de l’Acte II qui précède le duel qui lui sera fatal).

Eugène Onéguine
Eugène Onéguine, TCE 21 © Vincent Pontet

Enfin, un superbe Jean Teitgen en majestueux Prince Grémine, au timbre riche et profond, qui nous rappelle qu’il possède bien la voix et la posture du Commandeur…. (dans le Don Giovanni de Mozart).

Du côté des femmes, c’est d’abord Olga – la promise de Lensky – incarnée ici avec puissance et clarté par Alisa Kolosova qui domine la distribution. Elle est douée en outre d’une superbe présence scénique, singulièrement dans la scène du bal au cours de laquelle elle attise la jalousie de Lensky en dansant ostensiblement avec Onéguine. Elle se révèle là indispensable au drame.

Tatiana, rôle destiné au départ à la française Vanina Santoni (indisponible), a été confié à la soprano Gelena Gaskarova, toute en retenue, mais qui peine, parfois, à donner à son personnage la dimension déchirante et tragique.

La mise en scène de Stéphane Braunschweig a le grand mérite de la clarté. Le spectacle visuel a la forme d’une épure dans laquelle le blanc domine.

Le metteur en scène – et également scénographe – se laisse parfois emporter par un goût excessif pour la symétrie et les lignes. Ou par un penchant pour des tableaux en forme de boîtes ascendantes et descendantes, tel celui de la chambre de Tatiana pour la scène de « la lettre ».

JS Bou et Gelena Gaskarova
JS Bou et Gelena Gaskarova, TCE 21 © Vincent Pontet

Cette fois-ci ce ne sont plus des escaliers et/ou des niveaux divers, mais des chaises et des fauteuils qui peuplent et hantent le plateau, et encadrent de manière un peu obsessionnelle ce drame en chambre.
En revanche, cette symétrie profite à la scène du bal ainsi qu’à celle du duel et éclaire puissamment l’affrontement des deux amis.

L’Orchestre National de France est une formation d’excellence mais il lui manque, tout du moins dans cette production,  la « culture » lyrique, le « belcantisme orchestral » nécessaire pour arracher la conviction, et nous emporter. Sans doute, la direction musicale y est-elle pour beaucoup, imprégnée elle-même par la mise en scène principalement « théâtrale » qui domine la représentation.

Mais finalement, on retiendra avoir assisté à une belle – bien qu’en demi-teinte- représentation d’un classique de l’art lyrique, traité honnêtement et avec fidélité. Son immense mérite est principalement de nous avoir permis de voir, avec clarté, le drame génialement conçu par Pouchkine, accompagné de la sublime musique de Tchaïkovski… en nous épargnant les gesticulations et vulgarités auxquelles le passionné d’opéra est trop fréquemment exposé.

 

 


Théâtre des Champs-Elysées, à Paris

Du 10 au 19 novembre 2021

« Eugène Onéguine » de P.I. Tchaikovski

Opéra en 3 actes et 7 tableaux (1878)

Livret de C. Chilovski et du compositeur,

d’après le poème d’Alexandre Pouchkine.

 

Direction musicale: Karina Canellakis

Mise en scène et scénographie: Stéphane Braunschweig

Chorégraphie: Marion Lévy

Costumes: Thibaut Vancraenenbroeck

Lumières: Marion Hewlett

« Madame Larina »: Mireille Delunsch

« Tatiana »: Gelena Gaskarova

« Olga »: Alisa Kolosova

« Vladimir Lenski »: Jean-François Borras

« Eugène Onéguine »: Jean-Sébastien Bou

« Prince Grémine »: Jean Teitgen

« Filippievna »: Delphine Haïdan

« Le Capitaine/Zaretski »: Yuri Kissin

« Monsieur Triquet »: Marcel Beekman

« Guillot » (rôle muet): Stanislav Siwiorek

Chœur de l’Opéra National de Bordeaux

Direction: Salvatore Caputo

Orchestre National de France

 

 

Les années au Barreau, où il a été notamment actif dans le domaine des droits de l'homme, ne l'ont pas écarté de la musique, sa vraie passion. Cette même passion le conduit depuis une quinzaine d'années à assurer l'animation de deux émissions entièrement dédiées à l’actualité de la vie musicale sur Fréquence Protestante.

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