dimanche 2 juin 2024

CRITIQUE opéra. NICE, La Cuisine [Théâtre National de Nice], le 20 février 2024. Laurent PETITGIRARD : Guru, création française. Armando Noguera, Sonia Petrovna,.. Orchestre Philharmonique de Nice. Laurent Petitgirard, direction

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L’Opéra de Nice et le compositeur Laurent Petitgirard entretiennent une relation ancienne… Déjà il y a quasi 21 ans, [déc 2002] son opéra précédent « Elephant Man » (sur l’exclusion), était créé là encore en France sur le plateau de l’Opéra de Nice. Heureuse et précoce conjonction qui atteste de l’engagement de la Maison niçoise pour le répertoire moderne et contemporain.

 

 

Ligne artistique majeure confirmée récemment avec l’excellente production, aussi délirante que saisissante, de l’opéra d’après Franck Zappa,  » 200 motels » – The Suites [lire ici notre critique de 200 Motels, Opéra de Nice, déc 2023]. Le mérite en revient au choix du directeur de l’Opéra de Nice, Bertrand Rossi qui sait inscrire l’auguste Théâtre sur la mer, parmi les maisons les plus engagées de l’Hexagone. Pour la création française du 2e opéra de Laurent Petigirard, l’Opéra de Nice réalise même un partenariat exemplaire avec le Théâtre National de Nice dont la directrice Muriel Mayette Holtz assure sa première mise en scène d’opéra, entre hyper réalisme et échappée marine… 

 

 

CONTRE LE « GURU » 
DÉLIRANT ET MORTIFERE…
IRIS, MARTHE, MARIE,
3 FIGURES DE LA DÉNONCIATION

 

 

L’intérêt est moins dans les chœurs [excellente présence et chant maîtrisé des chœurs de l’Opéra de Nice], finalement attendus et prévisibles [- quoi même de plus agaçant qu’une foule passive qui accepte sans sourciller, l’emprise toxique qu’exerce sur elle son guide autoproclamé ?], que dans le chant de l’orchestre, ici d’une délectable éloquence, constamment souple et ductile qui convainc quand il introspecte en particulier les profils solistes ; c’est là que l’auditeur compte les plus belles surprises. 

Au centre de la conception, se précise peu à peu la figure du Guru ; la parure orchestrale détaille chaque nuance de ce guide à l’assurance édifiante, produisant mille nuances entre folie et manipulation. 

Simultanément l’Orchestre sonde les superbes portraits de femmes qui chacune compose une galerie de portraits des mieux caractérisés : ce sont elles qui humanisent l’action et permettent la dénonciation du sujet ;  elles sont le regard de lucidité qui s’oppose à l’aveuglement et la passivité générale. L’idéologie vaseuse de Guru étant un ramassis de contre-vérités et de raccourcis complotistes, d’une spiritualité aussi confuse qu’incohérente.

En cours d’action, le personnage de chacune s’épaissit et s’affirme telle une force d’opposition. Sa compagne Iris [Anaïs Constants], Marthe sa mère [Marie-Ange Todorovitch], rôles chantées véritablement captivants, grâce à l’engagement des chanteuses ; elles provoquent et se rebellent au prix de leur vie ; sans omettre la silhouette centrale de Marie, conçue pour l’épouse du chef lui-même,- impeccable Sonia Petrovna, rôle parlé qui incarne le regard critique de la pièce : elle dénonce constamment et exhorte [en pure perte] chacun à se ressaisir. Le dernier cri qu’elle produit, râle long et d’une infinie profondeur, mi humain mi animal, libère toute la tension qui s’est déployée depuis le début et dont elle est malgré elle, le témoin marqué à vie. 

 

 

 

 

L’action ne serait que tristement écœurante, s’il n’était le sort du bébé qui occupe la question de bon nombre de tableaux ; on peine parfois à soutenir les images du pauvre nourrisson auquel on inflige des perfusions du liquide censé le nourrir…. claire référence aux victimes collatérales sacrifiées sans l’once d’un regret, sur l’autel des certitudes abjectes. Au contraire, la mort du bébé, sert la phraséologie retorse et vicieuse de l’ignoble « Guru ». 

Mais le livret va plus loin encore ; il ajoute aussi outre le suicide collectif, le sacrifice des enfants donc, l’horreur du viol le plus brutal à l’endroit de Marie, la seule voix clairvoyante, d’autant plus haïe qu’elle est venue  « détruire le faux prophète » [mais à quel prix]. 

Musicalement, Laurent Petit Girard déborde d’idées et de climats dont l’activité permanente nourrit le drame avec un équilibre entre réalisme et onirisme. C’est surtout à partir de l’air de la mère endeuillée qui comprend qu’elle a laissé mourir son enfant, puis le grand solo du Guru suivant, qui exprime la conscience de sa toute puissance, que l’enchaînement des tableaux gagne un souffle certain, juste et progressif. 

Le profil du guru est parfaitement brossé dans sa folie démentielle, son hyper violence aussi et sa duplicité démoniaque. 

D’une façon générale, le réalisme cru sert admirablement l’ignominie du sujet ; le souci d’intelligibilité est constant surtout incarné par le baryton Armando Noguera qui fait en « Guru », une prise de rôle saisissante, son personnage réellement habité par la noirceur infinie [et nuancée] du personnage ; le chanteur donne l’illusion de celui qui s’amuse des fidèles comme de ses proies, -vraies brebis manipulées consentantes, avec un sadisme assumé, manifeste ; comme enivré par la jouissance de la toute puissance sur des âmes perdues et débiles; ce gourou délirant teste son pouvoir manipulateur sur tous, jusqu’à l’ultime limite, expression de leur soumission totale : leur propre mort. Il n’est pas question ici de s’y soustraire… 

Présence productive et de grande valeur,  le compositeur au pupitre délivre de sublimes moments de symphonisme suspendu, intranquilles, étranges, instants d’autant plus appréciés qu’ils sont rares chez les compositeurs contemporains, plus désireux de surprendre en convulsions stridentes qu’en syntaxe néo tonale – que d’ailleurs, maîtrise parfaitement Laurent Petigirard. L’équilibre sonore produit par les presque 80 musiciens sur le plateau, en fond de scène, est remarquable, créant ce ruban orchestral continu ; l’animation vidéo offre de superbes portraits du chef en pleine action (malgré le décalage entre les mouvements réels des bras et leur image démultipliée de face sur le grand écran) ; le dispositif révèle avec bonheur l’activité incessante du maestro pendant la représentation ; maître à bord, et défendant avec la première énergie, sa propre œuvre, il veille à la synchronicité, la clarté, la balance, l’intelligibilité. Ce avec d’autant plus de mérite qu’il dirige faisant dos aux chanteurs [solistes et choristes]. 

En 2h continues, sans entracte, l’action file entre tragédie et réalisme sociétal. Certains passages mériteraient à être resserrés  (le chœur est souvent répétitif), … – vétilles en réalité car la partition traite avec force et mordant, un sujet de société tristement répandu. 

 

 

Armando Noguera (Guru) et sa dénonciatrice Marie (Sonia Petrovna) © Opéra de Nice

 

 

 

 

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CRITIQUE opéra. NICE, La Cuisine [théâtre National de Nice], le 20 février 2024. Laurent PETITGIRARD : Guru, création française. Armando Noguera, Sonia Petrovna,.. Orchestre Philharmonique de Nice. Laurent Petitgirard, direction. Encore à l’affiche du Théâtre National de Nic, La Cuisine, les 22 et 24 février 2024 – production événement à Nice

Réservez vos places directement sur le site de l’Opéra de Nice :
https://www.opera-nice.org/fr/evenement/1041/guru

et aussi sur le site du Théâtre National de Nice TNN :
https://www.tnn.fr/fr/spectacles/saison-2023-2024/guru-opera

 

 

distribution

Direction musicale: Laurent Petitgirard
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz
Décors et costumes : Rudy Sabounghi
Réalisation vidéo : Julien Soulier

Guru : Armando Noguera
Marie : Sonia Petrovna
Iris : Anaпs Constans
Victor : Frédéric Diquero
Carelli : Nika Guliashvili
Marthe : Marie-Ange Todorovitch
Six adeptes : Rachel Duckett ; Noelia Ibaсez ; Aviva Manenti ; Raphael Jardin ; Eduard Ferenczi Gurban ; Trystan Daguerre

Chњur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice

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