A l’Opéra Bastille, Lise Davidsen chante sa première Salomé

- Publié le 10 mai 2024 à 16:06
Triomphe absolu pour la soprano norvégienne, dans le spectacle aux provocations déjà émoussées de Lydia Steier, et sous la direction musicale percutante de Mark Wigglesworth.
Salomé de Strauss

Lydia Steier n’a guère modifié sa vision de Salomé, bien que celle-ci ait largement choqué les spectateurs de Bastille à la rentrée 2022. Normal :  c’est le but recherché – l’Opéra de Paris affiche d’ailleurs toujours sur son site Internet sa mise en garde auprès « d’un public non-averti ». On a donc de nouveau droit à ces longues scènes de partouze, à ces sacrifices humains sanguinolents, à ces cadavres jetés dans une fosse commune, à la masturbation de Salomé au-dessus de la citerne où est enfermé Saint Jean-Baptiste, au viol collectif dont elle est victime, etc. Mais à vrai dire, voyant le spectacle pour la deuxième fois, on en ressort davantage blasé que choqué, tant semblent énormes et systématiques les ficelles de cette pesante démonstration, en comparaison avec la force et les subtilités du registre de la suggestion, un art que Miss Steier visiblement ignore.

Vite, Elektra !

Si l’on est revenu voir cette production, c’est surtout pour la prise de rôle de Lise Davidsen et, sur ce point, on n’a pas été déçu. Certes, avec son volume surnaturel, ses aigus supersoniques, son médium musclé et son physique de cariatide, cet authentique soprano dramatique est plus naturellement taillé pour la fille d’Agamemnon que pour celle d’Hérodiade. Elektra viendra, n’en doutons pas ; mais pour l’heure, ce qui sidère, c’est autant la facilité constante de l’émission, l’endurance sans défaut, que la finesse dont se parent chant et incarnation. Les allégements savamment dosés, les regards et les sourires de petite fille, l’ironie dans la ciselure des mots, les reflets d’or et les nuances dans le dessin mélodique : pour une première fois, c’est déjà un accomplissement.

Le problème, c’est qu’un tel astre a un peu tendance à éclipser ses partenaires, en particulier le Jochanaan bien chantant et efficace de Johan Reuter, mais dont la parole prophétique manque d’une once de puissance mystique. De même, si Gerhard Siegel ne démérite pas, on a connu des Hérode au grain de folie et à la perversité autrement extravertis. Ekaterina Gubanova, en revanche, a le mezzo opulent d’une démente Hérodiade, Pavol Breslik le lyrisme solaire d’un Narraboth consumé.

L’autre grand triomphateur de la soirée est l’Orchestre de l’Opéra, fleuve de lave en fusion que Mark Wigglesworth pétrit avec un souci du détail fabuleux, faisant entendre les mille étrangetés que recèle la partition, avec des suspenses, des abrupts, des accélérations souvent vertigineux. Voilà un écrin de choix pour l’étoile Davidsen, qui à elle seule justifie cette reprise.

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