Ariane et Barbe-Bleue au Capitole, poésie en scène
Par une mise en scène très poétique, Stefano Poda traite le livret de Maeterlinck, déjà riche de symbolisme, en multipliant les métaphores visuelles. Les murs qui encadrent la scène sont couverts de sculptures humaines grouillant en tous sens. Ce cadre évoque des catacombes blanchies, comme si par-dessus les mythes d’Ariane et de Barbe-Bleue, se greffait aussi celui de Perséphone au royaume d’Hadès. Et, comme pour souligner leur voyage entre terre et lumière, les magnifiques robes des multiples épouses de Barbe-Bleue se déclinent en variantes de noir et blanc : elles sont toutes blanches, ou toutes noires, ou blanches mais noircies de terre, ou comme pour Ariane, blanche imprimée de l’image géométrique d’un dédale en noir.
Le labyrinthe, dont seule Ariane possède la solution, sera le caveau, prison souterraine des épouses de Barbe-Bleue. Cette prison en forme de labyrinthe descend lentement des cintres, faite de toile transparente et légère comme de la soie d’araignée, pour envelopper les femmes, non pas tant de murs que d’un cocon protecteur. L’aspect cocon aide peut-être à expliquer pourquoi les épouses choisissent finalement de rester ensevelies alors qu'Ariane leur offre la possibilité de s’échapper.
La poésie visuelle de Poda élucide moins la poésie de Maeterlinck qu’elle ne la contemple. Poda ne cherche pas à répondre littéralement aux didascalies très oniriques, typiques du théâtre symboliste. Pour la scène des pierreries, au lieu d’inonder le plateau de lumières éblouissantes et colorées comme le spécifie Maeterlinck (« le ruissellement laiteux […] d’un déluge de perles », un « éblouissement sonore et bleuissant d’une pluie de saphirs », « une cascade tragique de rubis »), l’ouverture de chaque porte relâche quelques figurantes femme zombies et des effets subtils de lumière aquatique. Ce choix "divulgâche" un peu la surprise voulue par Maeterlinck pour la septième porte, qui devait être la seule à ne mener à « rien qu’une ouverture pleine d’ombre », pour révéler le chant des princesses.
La partition fait la part belle aux masses orchestrales, multipliant les exigences envers les chanteurs et surtout les chanteuses qui doivent rivaliser de volume en restant souvent sur un ambitus très grave et restreint. Sophie Koch offre néanmoins une interprétation admirée d’Ariane, avec force et ferveur, par une voix toujours claire et puissante, aux graves sonores et aux aigus riches sans aucune aigreur, déclamant ses vers parlés dans un français pur et net. Janina Baechle est une nourrice imposante de présence et de stature, en noir comme l’ange de la mort, imprimant le reflet, ou plutôt l’ombre d’Ariane. Si sa voix paraît parfois un peu avalée, elle réussit à garder les graves abyssaux en voix mixte, jamais vulgaire. Dans la scène des pierreries, elle chante avec l'abandon d'un son généreux, ruisselant et riche. Vincent Le Texier n’a que huit répliques en Barbe-Bleue, mais c'est assez pour révéler sa belle voix, sonore et ronde. Il a plus de temps pour régaler de son jeu théâtral, notamment par son imitation inquiétante d’une crise d’apoplexie.
Dans le rôle de Sélysette, Eva Zaïcik fait de nouveau reconnaître son mezzo caressant, d'une grande douceur de jeu également. Parmi les trois soprani : Marie-Laure Garnier (Ygraine) offre une voix puissante et bien focalisée, Andreea Soare (Mélisande) une richesse expressive, Erminie Blondel (Bellangère) une intense clarté. La comédienne Dominique Sanda offre également une contribution émouvante dans le rôle muet d’Alladine.
Le Chœur du Capitole, foule en masse qui voudrait lyncher Barbe-Bleue, démons chantant du paradis (tout en haut de la salle) enrobent ainsi l'auditoire d'un son équilibré et puissant, distinct et précis, rageux, terrifiant et très excitant. Sous la baguette de Pascal Rophé, aux gestes fluides pleins de grâce, l’Orchestre livre à chaque instant précision et clarté pour toutes les images sonores (vibrants solos de violoncelles, s'envolant avec les flûtes).
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