Après une Tétralogie de Wagner de haute tenue pour sa réouverture, le Grand Théâtre de Genève propose aux mélomanes un saut dans le temps avec une nouvelle production de la Médée de Marc-Antoine Charpentier dans une mise en scène de David McVicar, en co-production avec l’English National Opera. On se souvient de la production de Médée de Cherubini qui avait brûlé les planches il y a quelques années ; c’est avec une curiosité aiguisée par l’attrait du mythe éternel que le public est venu découvrir la version composée par Marc-Antoine Charpentier il y a plus de trois siècles.

Le voyage musical proposé est insufflé par l’énergie insatiable de Leonardo García Alarcón et sa Cappella Mediterranea qui parviennent à parer les musiques de Charpentier d’un charme total. Dans un flux musical perpétuel, les timbres sont fondus, l’énergie des basses galvanise et ancre le drame, les flûtes éthérées rivalisent d’atours, le chant accompagné d’une allégresse attentive parvient à un équilibre idéal. Les grands ensembles sonnent royaux à souhait, le continuo est le maître d’œuvre de la fluidité entre les récitatifs, les airs, les chœurs ou autres danses.

Au niveau visuel, on admire un vaste espace figurant un palais aux immenses fenêtres, baignant dans une lumière mordorée, d’un luxe ostentatoire rappelant les ors du foyer du Grand Théâtre récemment rénové. Dans ce décor, un avion viendra atterrir, des zombies échappés des Enfers émergeront du sol... mais surtout une troupe de danseurs aussi virevoltants que talentueux animera les multiples danses d’une énergie communicative.

La puissance de la mise en scène de David McVicar est de proposer une lecture limpide du drame, sans tomber dans l’anecdotique ni souffrir d’une aridité psychanalytique intellectualisante. Le ravissement est à l’œuvre tant les personnages sont justement dessinés, mettant en avant les sentiments intimes qu’ils traversent. Les lumières de Paule Constable magnifient les décors et on loue le naturel et l’homogénéité des costumes de Bunny Christie. La réussite de cette production réside très certainement dans l’unité du propos qui se dégage tant dans les décors et costumes que dans la direction d’acteur. Celle-ci semble évidente tant elle se fait naturelle, les rouages de l’action sont bien huilés sans être apparents.

Captivant l’attention, la Médée campée par Anna Caterina Antonacci nous ravit de son timbre chaud, d’un sens inné du drame, coloré par une ligne souple de chant. Sa puissance fait ressentir les tressaillements de son âme blessée, de sa rage, de sa folie. Son « Quel prix de mon amour » s'avère un délice de tristesse et de noirceur, oscillant entre larmes et haine. Et son « Noires filles du Styx » est un déluge de rage froide qui fait suite à une impeccable introduction orchestrale, étirée et menaçante. On avait été emporté par son incarnation de sa Cassandre héroïque, elle nous subjugue par la folie de sa Médée.

Le Jason de Cyril Auvity fait montre d’une belle présence physique et d’un timbre rond que l’on savoure dans son air « Que je serais heureux si j’étais moins aimé » si poignant avec son accompagnement de flûtes tristes. Néanmoins, sa voix oscillant entre deux registres peu homogènes a pu lasser par endroit. Autre atout vocal de cette production, la Créuse de Keri Fuge qui orne ses interventions d’un soprano étincelant. Son duo avec Jason, « Le plaisir d’être aimé », est d’une fraîcheur radiante ; sa mort, un sommet d’émotion.

Saluons enfin le Chœur du Grand Théâtre qui campe un personnage omniprésent et dont on peut saluer tant l’engagement scénique que musical. Jamais la vocalité opératique n’aura perturbé le discours d’une musique qui n’est pourtant pas le pain quotidien des chanteurs : chapeau bas ! Vous l’aurez compris : malgré une trame parfois bien étirée, pressez vous à Genève afin de venir écouter et voir cette Médée de haute tenue !

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