Lessons in Love and Violence à l’Opéra de Lyon
Pour
cette nouvelle commande de l’Opéra de Lyon associé à cinq autres
maisons lyriques, le compositeur britannique George Benjamin (né
en 1960) collabore de nouveau avec son compatriote écrivain Martin Crimp (né en 1956). Après les mythes du Moyen-Âge (Le petit joueur de flûte d’Hamelin et
le troubadour Guilhem de Cabestany), ils s’inspirent du drame élisabéthain de
Christopher Marlowe, Edouard II (1593) : un quatuor
amoureux autour du Roi, son amant prétentieux et vénal, sa femme responsable mais
ravagée, son conseiller amant de la
reine. Toutes ces luttes entre la beauté et la misère,
l’amour et le pouvoir, se déroulent sous les regards, parfois
involontaires, voire naïfs ou forcés, du prince et
de la princesse.
Retrouvez notre interview de George Benjamin à l'aube de cette création française
Dans son opéra en deux parties et sept scènes, George Benjamin, élève d’Olivier Messiaen (1908-1992), sculpte une langue anglaise naturellement souple comme l’état psychologique des personnages, soutenue par l’orchestration à la fois transparente et dense. L’écriture atonale et les dissonances planent sur de longues notes tenues ou se déchirent en violents passages hétérophoniques (les mélodies simultanées des protagonistes appartenant à différents univers musicaux), créant des moments expressifs agressifs ou suspensifs, toujours en symbiose avec le drame. Quelques instruments inhabituels dans une fosse d’orchestre ajoutent en effets et en mystère, tels le cymbalum ou le tombak iranien et le tama (instruments de percussion), particulièrement utilisés lors de la scène fatale du Roi.
Katie Mitchell, habituée à mettre en scène les œuvres de Benjamin et Crimp, renouvelle un travail fondé sur l’obstination, les objets et les déplacements des personnages usant et abusant de leur liberté, entourés des objets symboliques du pouvoir (couronne, dague, collier de perles) protégés sous des cages de verre illuminées. Le décor de Vicki Mortimer, qui signe également les costumes aux allures actuelles, représente la chambre royale, lieu de toutes les intrigues autant personnelles qu’officielles, entouré d’une haute boiserie bleue et blanche décorée de tableaux et d’un impressionnant aquarium qui se vide au fil des scènes, tout comme les murs de leurs œuvres d’art. À chaque nouvelle scène, ce décor unique est tourné à 90°, renouvelant l’angle de vue du spectateur. La mise en scène répond avec précision à la musique, jusqu'au déplacement des protagonistes qui peut soudainement se ralentir lorsque la musique semble suspendre le temps dans une légère lumière bleutée.
La partition dépourvue d’ouverture met immédiatement en scène les voix, à commencer par l'enfant du pays lyonnais, le baryton Stéphane Degout dont la prestance vocale et scénique sied au personnage du Roi, avec un timbre riche et profond dont l’intensité ne faiblit jamais, malgré l’endurance exigée mais également la nécessité de camper un monarque dépassé par son aveuglement sensuel, jusqu'à la mort du corps, pas de la voix. Toujours un verre ou une cigarette à la main, la Reine Isabelle est interprétée par la soprano Georgia Jarman (qui succède donc sur ce trône à Barbara Hannigan), aux aigus purs et tranchants, même lors de tenues impressionnantes, avec une prononciation des consonnes appréciable. L'assurance vocale (du soutien et de la conduite de ligne) est mise au service de la fébrilité des accents et inflexions ornementées.
Gaveston est incarné par le baryton Gyula Orendt, au timbre large et à l’allure sérieuse, avec une palette volontairement timbrée, sensible, capiteuse et capricieuse. Le « dead man » Mortimer comme il l'appelle est chanté par le ténor Peter Hoare, qui ne manque pas de présence avec cette voix à la fois sombre et sûre d’un homme sachant et n’hésitant pas à comploter pour raison d’État. La maîtrise de la projection vocale est particulièrement appréciable lors des ensembles, réussissant à trouver un équilibre tout en restant très compréhensif.
Le ténor Samuel Boden est le jeune Garçon, à la voix douce et claire, volontairement innocent et naïf, néanmoins suffisamment projetée, puis gagnant en assurance lors de la scène finale, où il est devenu un Jeune Roi vengeant son père et rattrapant ses fautes en bannissant la musique, tout en gardant sa fraîcheur juvénile. Enfin, émergeant du peuple et de la cour, la lumineuse soprano Hannah Sawle et la chaude mezzo-soprano Katherine Aitken font particulièrement vibrer la scène de lamentation du Roi David (théâtre dans le théâtre rappelant Hamlet de Shakespeare), avec un convaincant baryton-basse Andri Björn Róbertsson en Fou au timbre fourbi et large.
En fosse, le jeune et très investi chef Alexandre Bloch révèle le travail très minutieux effectué par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon dans les nuances, équilibre et la précision des multiples plans sonores. Les dynamiques extrêmes sont intenses tout comme les nuances intermédiaires, particulièrement définies et diverses. Les couleurs orchestrales de la partition prennent alors sens et savent accompagner le plateau de leurs expressivités.
Si la musique, l’amour et la beauté semblent être les priorités du Roi, son fils et le public semblent en avoir tiré les leçons qui ouvrent un règne nouveau, dont le pouvoir reposerait désormais sur l’autorité et l’intégrité envers l’innocent.