Émotions automnales au Grand Théâtre de Genève devant une assistance encore bien clairsemée pour cette lente reprise après interruption. Dans la fosse, Stefano Montanari et l’Orchestre de la Suisse Romande offrent une lecture des plus nuancées d'Anna Bolena, partition jouée pour la première fois au Grand Théâtre. Dès les premières notes de la Sinfonia, la joie de Donizetti est bien là et, au détour d’une phrase de basson et de clarinette, le chef insuffle des tempos plus étirés, chargeant l’air d’un vague à l’âme qui nous rappelle que le compositeur est aussi l’auteur du si mélancolique « Una furtiva lagrima » de L'Elisir d’amore.

Loading image...
Anna Bolena au Grand Théâtre de Genève
© Monika Rittershaus

Clair-obscur : c’est la couleur qui sera donnée à l’ensemble, et l’on sent le bénéfice dramatique que l’on peut tirer de ces partitions belcantistes lorsqu’on laisse ainsi respirer les charnières musicales. En ce sens, une des belles surprises de la soirée réside certainement dans les accompagnements improvisés au pianoforte par le chef lui-même à des moments de bascule émotionnelle (souvent des récitatifs, mais pas seulement) : que ce soit après l’aveu amoureux de Giovanna Seymour devant la Reine Anna Bolena au début de l’acte II ; ou sur un « hélas » de la Reine chargé de sens, quand elle comprend revoir son amant Percy pour la dernière fois. Si on peut reprocher parfois à cette direction une absence de prise de risque, on lui saura gré de mettre en place une nappe orchestrale idéale pour porter un chant belcantiste qui trouve ses plus belles résolutions d’ensemble dans un quintette de l’acte I en suspension et parfait équilibre.

Sur scène, une végétation abondante en arrière-plan qui vient soit reverdir, soit faner grâce aux subtils jeux de lumières d’Ulrik Gad. Deux grandes pièces d’un intérieur classique posées sur une tournette (scénographie de Julia Hansen) offrent un jeu entre caché et montré, de circonstance dans un opéra où l’un des ressorts dramatiques reste la délation et le jugement impartial, où chacun observe insidieusement tout le monde, pour le malheur d’une seule, Anna Bolena.

Loading image...
Anna Bolena au Grand Théâtre de Genève
© Monika Rittershaus

Mais à scénographie habile, direction d’acteur et donc mise en scène (Mariame Clément) conventionnelle et bourgeoise. Conventionnelle dans le sens où mis à part l’idée des doubles de la Reine en enfant et vieille femme – toujours assez efficace mais vue et revue dans tant de mises en scène –, les propositions s’inscrivent dans un rapport logique au livret tout à fait littéral et pauvre, attribuant à chaque scène son anecdote. Ainsi la rencontre amoureuse entre le Roi et Giovanna (acte I) où celui-ci relève haut ses manches, passe ensuite sa veste à Giovanna puis la bloque contre un mur ; ainsi le page Smeton, rôle travesti amoureux de la Reine, qui se masturbe sous les draps devant le portrait de la Reine, épisode qui, s’il parvient encore à choquer le parterre de la cité de Calvin, tourne court sans évoquer les délicieuses subtilités d’un amour adolescent – on pense à l’amour d’un Chérubin pour la Comtesse chez Mozart. Bourgeois car si nous observons ici et là des tentatives de distanciation de l’histoire (codes du conte avec l’apparition d’oiseaux et cerf géants, citation d’une nature romantique…), le geste arrêté à mi-chemin réitère finalement les codes d’un théâtre bourgeois conventionnel relativement statique.

Loading image...
Anna Bolena au Grand Théâtre de Genève
© Magali Dougados

Et si la promesse de la soirée résidait dans les prises de rôles d’Elsa Dreisig (Anna Bolena) et Stéphanie d’Oustrac (Giovanna Seymour), force est de constater que là où cette dernière s’en tire haut la main, montrant dans ses deux airs l’homogénéité de sa voix dans les différents registres et sa capacité de modulation (jusqu’à une messa di voce impeccable comme dans son « Per questa fiamma »), Elsa Dreisig campe une Anna Bolena nettement plus monochrome, qui n’est pas sans offrir une dimension là encore automnale à cette Reine victime de toutes parts. La voix prenait ses aises au fur et à mesure de la soirée dans les larghettos (jusqu’à de très belles épiphanies en début d’acte II), mais on n’a pu que constater sa fragilité dans un répertoire où à propos de vocalises, les ports de voix et autres glissandos ne doivent pas être la règle, et où la dimension dramatique du rôle ne doit pas être sous-estimée. On note le Smeton tout à fait prometteur et agile de Lena Belkina, en prise de rôle aussi ; là où le Percy d’Edgardo Rocha est trop pincé et acide dans son registre haut pour parvenir à véritablement nous charmer dans le rôle de l’amoureux transi.

Gageons que ce premier épisode d’un triptyque donizettien à venir les saisons prochaines avec les mêmes équipes s’étoffera en idées scéniques et se bonifiera vocalement avec le temps…

**111