Après une Périchole aux choix musicologiques discutables (mais aussi de très heureux détours vers des titres peu fréquentés, tels Lischen et Fritzchen, Le 66 ou Maître Peronilla), le Palazzetto Bru Zane s’attaque à un deuxième opus offenbachien d’importance : La Vie parisienne, créée au Théâtre du Palais-Royal en 1866. Impossible d’entrer ici dans le détail des différentes versions de l’œuvre, ni dans les recherches effectuées pour reconstituer cette version « pré-primitive » jamais jouée, même du vivant du compositeur, dont le détail est rapporté dans le très riche programme du spectacle. Rappelons simplement que la version première de l’œuvre comportait 5 actes (le 4e se passant chez Gardefeu, après les fêtes données au III à l’hôtel de Quimper-Karadec), alors que la version de 1873, la plus connue et la plus jouée et enregistrée à ce jour, en comporte un de moins, l’acte IV de 1866 ayant été purement et simplement supprimé. Bru Zane propose une nouvelle version en 5 actes, mais avec un quatrième acte inédit : se passant à l’hôtel de Quimper-Karadec (comme le III), il donne à voir le retour chez elles de la douairière de Quimper-Karadec et de sa nièce au lendemain de l’orgie qui s’est déroulée en leur absence.

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La Vie parisienne au Théâtre des Champs-Élysées
© Marie Pétry

Que gagne-t-on à la résurrection de cet acte – et aux quelques modifications et ajouts qui parsèment ici ou là cette partition bien connue ? Parfois, ce sont de belles découvertes qui se font jour : la mélodie inédite du premier air de Gardefeu « Ce que c’est pourtant que la vie », plus légère, moins suave et mélancolique que celle de la version définitive ; le double chœur germano-marseillais qui clôt le premier acte (et qui, outre le fait d’être très drôle, permet enfin de comprendre pourquoi, subitement, les invités de Gardefeu chantent « Wir wollen essen ! ») ; un trio d’hommes entre Prosper, le Baron et Urbain, digne pendant des trios masculins bien connus de La Belle Hélène ou de La Grande-Duchesse ; un ensemble à l’acte IV (« Ma tête ! Ma tête ! Nous devenons fous ! »), équivalent offenbachien des ensembles rossiniens où les personnages semblent eux aussi perdre la raison (le « Mi par d’esser con la testa » du Barbier, par exemple) ; de nouveaux airs pour Gabrielle (la « Chanson de la Balayeuse ») ou Pauline (les amusants couplets du cocher Jean), et surtout un beau « Fabliau de la Baronne », mélange de grivoiserie, d’humour, de délicatesse et de mélancolie dont Offenbach détient le secret. On se console difficilement en revanche de certaines disparitions : le « Connais pas » de Métella, mais surtout la tyrolienne de Gabrielle ou l’irrésistible finale de l’acte III « Tout tourne… », d’ailleurs judicieusement proposé en bis à la fin du spectacle afin de maintenir la frustration des spectateurs dans des proportions convenables !

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La Vie parisienne au Théâtre des Champs-Élysées
© Vincent Pontet

Christian Lacroix fait ici ses débuts de metteur en scène. Le spectacle prend corps dans une scénographie un peu tristounette, surtout aux deux premiers actes, mais les costumes sont très réussis et font preuve d’une belle fantaisie. Lacroix joue la carte du burlesque et de l’humour en la préservant des relectures socio-politiques ou féministes dont on la leste parfois. Pourtant, même si certaines idées sont bienvenues (le défilé de mode pendant l’air de la Parisienne), on aurait aimé qu’il aille encore plus loin dans la fantaisie, l’absurde et le non-sens, et les gags sont un peu trop sages au regard de l’humour décapant du livret. Heureusement, les choses s’améliorent après l’entracte : il faut dire que ce 4e acte inédit est un festival d’absurdités et de quiproquos en tous genres, et qu’il est servi entre autres par une Ingrid Perruche (Madame de Quimper-Karadec) à l’humour comme toujours irrésistible !

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La Vie parisienne au Théâtre des Champs-Élysées
© Marie Pétry

Musicalement, les choses sont à l’avenant : à la tête des Musiciens du Louvre, Romain Dumas propose une lecture subtile de l’œuvre, mettant en valeur certains raffinements de l’orchestration, mais on aurait aimé un soupçon de folie supplémentaire, surtout dans les ensembles, un peu trop sages. Vocalement, La Vie parisienne fait partie de ces œuvres dont la réussite repose moins sur quelques personnalités marquantes que sur l’esprit d’équipe. Le Palazzetto Bru Zane a réuni pour l’occasion la fine fleur du chant français « léger ». Se détachent de l’équipe la Gabrielle mutine de Jodie Devos, le Bobinet bien chantant (et bien dansant !) de Marc Mauillon, le Gardefeu convaincant de Rodolphe Briand, la Métella d’Aude Extrémo, d’une grande présence vocale et scénique, ou encore le Baron plein de verve de Franck Leguérinel. Pourtant, là encore, en ce soir de première (parisienne du moins), les choses nous ont semblé ne pas toujours « décoller », avec des interprètes souvent sur la réserve et qui n’osent pas suivre le conseil avisé des librettistes de « lâcher tout »… Peut-être leur faudra-t-il un peu de temps pour trouver leurs marques et s’approprier un espace aux proportions plus vastes que les opéras de Rouen ou de Tours, où la production a déjà été donnée ?

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