Réalise-t-on vraiment à quel point le chant français (ou plus généralement francophone) se porte bien aujourd’hui ? Proposer un Élixir d’amour avec une distribution (presque) exclusivement franco-belge, voilà qui n’aurait pas été sans poser quelques difficultés il y a quelque temps. C’est aujourd’hui parfaitement possible, avec qui plus est un résultat on ne peut plus convaincant : en témoigne ce concert très réussi proposé par le Théâtre des Champs-Élysées ce samedi 15 janvier.

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L'Élixir d'amour au Théâtre des Champs-Élysées
© Les Grandes Voix

Le maître d’œuvre de cette réussite est néanmoins italien : Francesco Lanzillotta, qui mène une très belle carrière en Italie mais est encore relativement peu connu en France, offre à la tête d’un Orchestre national d’Île-de-France en grande forme une lecture brillante du chef-d’œuvre de Donizetti. Sachons gré au chef italien de croire en cette musique et de la respecter, en ne négligeant aucune reprise, en ne mutilant aucune coda. Vive, alerte, contrastée, subtile, sa direction, tout en préservant la délicatesse des parenthèses poétiques que constituent la « Furtiva lagrima » ou le « Adina, credimi, te ne scongiuro… » de Nemorino, assure à la partition une vivacité et un dramatisme constants : elle compte sans doute pour beaucoup dans l’impression qu’on a eue d’assister à un véritable spectacle mis en scène plutôt qu’à une version de concert ! Mais pas seulement… Les chanteurs se révèlent en effet être tous formidablement crédibles dans leurs rôles, avec, à chaque fois, une physionomie et un jeu scénique qui traduisent au mieux les sentiments et caractères des personnages incarnés.

Vocalement, le plateau offre de belles satisfactions. Catherine Trottmann (Giannetta) possède un joli timbre et une voix bien posée, qui donnent envie de la réentendre dans un emploi plus important. Nicola Ulivieri (Dulcamara) met sa voix chaude et puissante au service d’une incarnation pleine d’autorité, contrastant plaisamment avec la timidité de Nemorino. On n’attendait pas forcément Philippe-Nicolas Martin dans le répertoire belcantiste (encore qu’il ait déjà interprété Belcore avec succès à Avignon en 2019) ; pourtant, le baryton français s’y montre à l’aise, avec un timbre toujours aussi velouté et une belle projection vocale. L’instrument est par ailleurs suffisamment souple pour venir à bout des ornements qui parsèment la ligne vocale de Belcore. En outre, l’incarnation du personnage, plein de forfanterie et de suffisance, est vraiment drôle ! Cyrille Dubois se remet tout juste d’une laryngite. Il a malgré tout courageusement tenu à participer au spectacle, et le public lui en a été reconnaissant, accueillant très favorablement son incarnation d’un Nemorino à la fois benêt, touchant… et volontaire ! Vocalement, l’indisposition du ténor s’est à peine entendue : la puissance vocale est moindre qu’en d’autres occasions, certains aigus forte sont un peu tendus et se libèrent moins franchement que d’habitude ; mais le ténor relève les principaux défis du rôle et fait preuve de son habituel sens des nuances, détaillant la « Furtiva lagrima » avec le même soin qu’il apporterait à une mélodie.

Adina est tantôt servie par des voix légères (façon Kathleen Battle), tantôt par des timbres plus opulents (Anna Netrebko chantait le rôle à Vienne en 2005), avec pour conséquence des caractérisations du personnage très différentes. Jodie Devos se range clairement dans la première catégorie d’interprètes. Pourtant, son timbre léger ne l’empêche nullement de conférer une réelle épaisseur à Adina, grâce à une projection efficace permettant à la chanteuse de rester vocalement toujours très présente y compris dans les ensembles, mais aussi au soin constant accordé à la ligne de chant et à l’incarnation du personnage. Si les couleurs parfois légèrement acidulées du timbre conviennent au côté un peu « pimbêche » d’Adina dans les premières scènes de l’œuvre, les nuances et la douceur qu’elle est aussi capable de lui apporter permettent de dessiner une belle évolution du personnage, culminant dans un air final parfaitement maîtrisé, couronné d’une cabalette à la virtuosité tout à la fois sûre et dépourvue d’ostentation.

La soirée remporte un franc succès, chaque artiste étant très chaleureusement applaudi ! Un souhait pour terminer : L’Élixir d’amour a été proposé dans une version jeune public l’an dernier par le Théâtre des Champs-Élysées ; l’Opéra de Paris a récemment repris la mise en scène imaginé par Laurent Pelly ; après ce concert du TCE, l’œuvre sera programmée l’été prochain aux Chorégies d’Orange : on ne peut que s’en réjouir, tant L’Élixir est, à coup sur, l’un des plus beaux fleurons du répertoire donizettien. Puissent malgré tout les directeurs de salles ne pas oublier que la catalogue du compositeur est riche de quelque 70 opéras, dont certains – et non des moindres – attendent toujours d’être créés en France…

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