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Elektra prise entre deux feux au Grand Théâtre de Genève

L’opéra de Richard Strauss est visuellement éblouissant. Mais il souffre d’une mise en scène et d’un décor trop contraignants pour l’épanouissement musical d’intervenants magnifiques

L’esthétique, les lumières et l’impressionnante emprise mécanique du concept dominent dans la lecture scénique d’Ulrich Rasche. — © Eddy Mottaz / Le Temps
L’esthétique, les lumières et l’impressionnante emprise mécanique du concept dominent dans la lecture scénique d’Ulrich Rasche. — © Eddy Mottaz / Le Temps

Il n’y a aucun doute: le spectaculaire dispositif scénique et les éclairages somptueux d’Elektra de Richard Strauss valent à eux seuls le détour. L’esthétique, noire et métallique, est éblouissante. La monumentale et impitoyable artillerie scénique suffoque magistralement l’action.

Et l’inexorable avancée vers la catastrophe, sur des tapis roulants circulaires en constante rotation, démontre mieux que tout le cercle infernal dans lequel la famille des Atrides est prisonnière. Simplicité, efficacité, cruauté et puissance sont les points cardinaux de la lecture et de l’illustration d’Ulrich Rasche.

Le metteur en scène et scénographe utilise à Genève un procédé déjà exploré dans d’autres productions théâtrales. Pour la première fois à l’œuvre dans un opéra, il investit la scène de Neuve avec le décor de la pièce d’Hugo von Hofmannsthal donnée à Munich en 2018. Il semble évoluer à tâtons dans l’ouvrage lyrique de Strauss, tant l’intelligence du concept et la beauté du dispositif sont en décalage par rapport aux exigences du genre.

Huiler la mécanique

Peut-être aurait-il fallu huiler en douceur la mécanique d’origine, quitte à arrêter la rotation par intermittence pour laisser le temps aux solistes de reprendre souffle et équilibre. Mais la radicalité fait partie du concept. Les chanteurs sont soumis à l’obligation de se déplacer sans trêve. Ils évoluent dans un espace vide imposant, privé d’éléments acoustiques de retour du son. La hauteur de la structure les coupe du rapport naturel à l’orchestre.

Enfin, le plateau vertigineux et sévèrement incliné nécessite des arrimages contraignants de sécurité. Cela fait beaucoup d’éléments et d’informations contraires, tant au niveau de la tension des artistes que pour le public, écartelé entre les surtitres, l’inconfort à se concentrer dans le roulis et la difficulté à savourer l’interprétation.

Dans ce contexte, la mise en scène dépend elle aussi totalement du décor. Le déplacement continu sur un espace restreint prive les personnages de tout rapport entre eux et de tout creusement psychologique. Et l’équipe vocale donne l’impression de se produire dans une version concertante, superbement mise en lumière par Michael Bauer.

Frustration

En fosse, Jonathan Nott est à son affaire dans l’abondance, la versatilité et la partition kaléidoscopique. La délicatesse et la cruauté au bout de la baguette, le chef révèle l’OSR à son meilleur de fluidité et d’intensité.

Les passages de grandes envolées vocales, où les chanteurs livrent le maximum de leur puissance, touchent à des sommets. Mais ne pas pouvoir suivre ce qui se joue derrière les débordements de haine et de douleur constitue une frustration. Il est ainsi complexe de faire état de la gamme de nuances des impressionnantes chanteuses, dont la performance physique contraint le spectre musical.

Electre (la soprano Ingela Brimberg, à la densité de voix vibrante et boisée), Clytemnestre (Tanja Ariane Baumgartner, mezzo au jeu plus libre et à la belle chaleur vocale) et Chrysothemis (la soprano Sara Jakubiak, volontaire dans sa faiblesse) essaient d’habiter le plateau au mieux. Quant à Michael Laurenz (Egisthe) et Karoly Szemerédy (Oreste), leurs démarches de RoboCop pour éviter le dérapage les dessert. Ils assurent courageusement leur partie devant le reste de la distribution, très honorable et homogène. Une performance générale.

Grand Théâtre jusqu’au 6 février. rens: 022 322 5050, www.gtg.ch