Barrie Kosky l’avait annoncé lors de la présentation de saison au printemps 2021 : les meilleures productions de ces dix dernières années seront à nouveau données sur la scène du Komische Oper d’ici l’été 2022. Après la magnifique reprise d’Anatevka en novembre dernier, c'est ce mois-ci le fameux Ball im Savoy de Paul Abraham qui fait son retour à Berlin, dans la mise en scène de Kosky donnée pour la première fois en 2013. L’émotion est palpable dans les couloirs du théâtre, il ne s’agit pas d’une représentation normale... En effet, ce soir, la mise en scène et surtout la distribution sont les mêmes qu’il y a neuf ans. Il s'agit donc de vraies retrouvailles, pour lesquelles le public est au rendez-vous : le théâtre affiche complet pour la première ce vendredi 11 février.

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Ball im Savoy au Komische Oper
© Iko Fresse / drama-berlin.de

Alors que le public prend place, un voile blanc coule du haut de la scène et déborde dans la fosse. Le message, nous invitant à ne pas consulter nos mails ou Twitter pendant le spectacle, annonce la couleur comique de la soirée. Nous attendent en effet plus de trois heures d’un spectacle réjouissant, débordant d’effets comiques et de costumes flamboyants. L’ouverture est grandiose : l’orchestre expose tout son éventail de couleurs, entre les trompettes et leurs sourdines wah-wah, les deux pianos, les xylophone, vibraphone et innombrables percussions. Alors que quatre couples de danseurs se relaient sur scène, virevoltant sur un rythme de valse, des impressions en ombres chinoises du voyage de noces d’Aristide et de Madeleine de Faublas sont projetées en fond de scène. On passe de la skyline new-yorkaise avec – encore – ses tours jumelles à la savane, puis à des fonds marins, à la banquise avant d’arriver à Venise. Le voile blanc se lève enfin pour faire place au premier décor, le vestibule de la demeure du Marquis de Faublas envahi par les danseurs, les choristes, les domestiques Archibald et Bébé, tous réunis pour accueillir le couple de voyageurs.

Au signal de l’ascenseur (élément central du décor), les portes s’ouvrent et laissent entrer Dagmar Manzel, éblouissante dans le rôle de Madeleine. Sa robe argentée réfléchit toutes les lumières dirigées vers la scène, on ne voit plus qu’elle. Tout au long de la soirée, elle maitrise son rôle et prend véritablement plaisir à l’interpréter, notamment dans les nombreuses reprises du passage « Warum bin ich verliebt in dich? » (Pourquoi suis-je amoureuse de toi ?). Katharine Mehrling fait également une entrée sensationnelle en Daisy Darlington dans un foxtrot accompagné au piano, où elle rejoint la troupe de danseurs dans d’impressionnantes acrobaties. Elle enchaîne claquettes, scat à la Ella Fitzgerald et yodel, remplissant ainsi parfaitement son rôle d’artiste de « bigband yodel acrobatique ». L’effet comique est garanti et la salle y répond avec joie.

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Ball im Savoy au Komische Oper
© Iko Fresse / drama-berlin.de

On rit beaucoup, d’autant plus que l’équipe s’est autorisé quelques ajustements au livret pour rendre les choses plus actuelles. Lorsque Madeleine, déçue par l’infidélité d’Aristide, se rapproche du jeune Célestin Formant au Savoy, elle lui pose ainsi les questions « standards » d’un premier rendez-vous : « Chantez-vous le yodel ? Faites-vous des claquettes ? Êtes-vous vacciné ? »

Helmut Baumann joue aussi la carte du comique dans son rôle de Mustapha Bey. Du haut de ses 83 ans, le chanteur remplit tout à fait les besoins de l’opérette, voire rajoute même un décalage comique à la pièce. Celui que Kosky qualifie de légende du théâtre berlinois fêtait son anniversaire quelques jours avant la première. L’occasion pour la troupe et le public de célébrer ce moment ensemble en chantant un Happy birthday après les saluts.

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Ball im Savoy au Komische Oper
© Iko Fresse / drama-berlin.de

Le duo Peter Renz et Christiane Oertel en Archibald et Bébé est excellent et on aurait voulu les voir plus souvent sur scène. On se souviendra des scènes d’ensemble où les costumes sont tous plus extravagants les uns que les autres. D’un escalier si pentu qu’on suit les allées et venues des artistes avec encore plus d’attention, de peur qu’ils ne finissent par tomber. D’un orchestre « sexy » comme le qualifie Daisy Darlington. Et d’une très belle performance d’Adam Benzwi à la direction de l’ensemble ainsi qu’au piano lors de plusieurs passages solo merveilleusement exécutés.

Alors que les applaudissements emplissent le théâtre, Barrie Kosky monte sur scène pour rendre un véritable hommage au compositeur : « Paul Abraham est à Berlin ce que Johann Strauss est à Vienne. » Il y aura eu autant de rires pendant la représentation que d’émotion à son issue, lorsque chaque soliste entonne à tour de rôle l’un des thèmes les plus tristes de Paul Abraham, « Reich mir zum Abschied noch einmal die Hände » : donne-moi encore une fois la main en guise d'adieu.

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