C'est un spectacle qui respire l'intelligence et procure le plaisir, mais l'heure n'est pas moins grave. En ce jeudi 3 mars au Grand Théâtre de Genève, Leonardo García Alarcón prend la parole avant le début de la représentation pour suggérer une prière pour la paix et exprimer compassion et solidarité avec le peuple ukrainien. L'hymne du pays est alors joué, en une magnifique version baroque et vraisemblablement plus lente que sa version originale, renforçant ainsi l'émotion partagée par une salle debout et plongée dans le noir.

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Atys au Grand Théâtre de Genève
© Gregory Batardon

L'opéra commence ensuite avec son prologue, ici drastiquement réduit à quelques minutes, en un choix assumé par le chef argentin et le metteur en scène d'introduire uniquement le drame qui suit et non pas de développer cette ode de circonstance à la gloire de Louis XIV. C'est la première mise en scène d'opéra du chorégraphe Angelin Preljocaj, et ce coup d'essai est un absolu coup de maître. Il s'agit d'un spectacle total équitablement partagé entre musique, chant et danse, pour le plaisir des oreilles, des yeux... et de l'esprit, tant les surprises sont nombreuses et l'émotion constamment présente. La frontière entre ballet et opéra est de fait abolie, les gestes des chanteurs étant constamment chorégraphiés, ceux-ci dansant en même temps que les membres du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Cette chorégraphie ne se limite pas à quelques gestes hiératiques alla Bob Wilson, mais propose une grande variété de mouvements, de rythmes, de positions, comprenant d'ailleurs quelques portés.

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Atys au Grand Théâtre de Genève
© Gregory Batardon

Les costumes en noir et blanc de Jeanne Vicérial, dans l’ensemble épurés et élégants, relèvent également d'une folle imagination à tendance asiatique. La scénographie de la plasticienne Prune Nourry forme un pareil enchantement, nous situant sans doute quelque part au Moyen-Orient au cours des trois premiers actes qui se déroulent devant d'imposants murs blancs en travers qui se fissurent au fur et à mesure de la progression de la tragédie. Le plateau se dépouille dans des tons bleus après l'entracte, pour terminer avec la transformation d'Atys en pin, un arbre qui s'élève dans les cintres en dévoilant ses racines aux allures de squelette humain, avec cage thoracique et membres.

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Atys au Grand Théâtre de Genève
© Gregory Batardon

La distribution vocale réussit le tour de force d'assurer une suprême qualité de diction du texte – et quel fabuleux livret de Philippe Quinault ! – tout en ne comprenant que très peu d'interprètes francophones, en particulier pour les premiers rôles. Dans le rôle-titre, le ténor étasunien Matthew Newlin est doté d'un médium nourri et monte sans difficultés vers son registre aigu, celui-ci étant toutefois émis sans projection supplémentaire. Dans le rôle de son aimée Sangaride, la soprano portugaise Ana Quintans distille sa pulpe vocale délicate, en modifiant les affects par de petites inflexions. Rôle au moins aussi important que celui d'Atys, la déesse Cybèle est défendue par la mezzo italienne Giuseppina Bridelli à la couleur sombre un peu plus dramatique, spécialiste du répertoire baroque et qui pousse magnifiquement certaines notes fixes. On entend un léger accent chez le baryton-basse allemand Andreas Wolf qui incarne Célénus, époux promis à Sangaride mais non aimé par elle, la voix est suffisamment puissante, accompagnée d'un petit vibratello.

L'autre baryton-basse Michael Mofidian (Idas / Phobétor) est superbement timbré, les sopranos Gwendoline Blondeel (Doris / Iris / Flore) et Lore Binon (Mélisse) cisèlent le texte avec goût, c'est un peu moins le cas pour la basse Luigi De Donato (Le fleuve Sangar), tandis que Nicholas Scott (Le sommeil / Zéphyr), Valerio Contaldo (Morphée / Dieu de Fleuve) et José Pazos (Phantase) complètent avec bonheur.

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Atys au Grand Théâtre de Genève
© Gregory Batardon

Leonardo García Alarcón et son orchestre de la Cappella Mediterranea sont aussi les grands triomphateurs de cette éclatante réussite. Jouée dans la fosse surélevée, la musique s'épanouit avec ampleur, la partition prend vie dans une dynamique enthousiasmante, aux nuances franches et variées. Le chef est particulièrement attentif au plateau et donne même les départs des coups d'épée qui fendent l'air pendant le duo de l'acte II entre Atys et Célénus. Une mention également pour le Chœur du Grand Théâtre de Genève, impeccablement préparé par Alan Woodbridge. Après la fameuse production de Christie et Villégier en 1987 à l'Opéra Comique, voici donc 35 ans plus tard celle d'Alarcón et Preljocaj tout aussi marquante, un spectacle total d'une très grande envergure visuelle, sonore et émotionnelle.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par le Grand Théâtre de Genève.

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