« Riez-vous parfois de l'opéra ? De ses histoires mélodramatiques ? (...) Riez-vous de Verdi ? Ne riez pas ! », lit-on dans la note d'intention du metteur en scène. On rira en effet très peu dans cette nouvelle production très noire d'Axel Ranisch, où celui-ci nous raconte en parallèle une histoire parfois bien éloignée du livret de Francesco Maria Piave. Pendant l'ouverture, un film nous montre un homme assis dans son triste canapé qui visionne une cassette VHS de Rigoletto. Ce personnage ajouté (nommé Hugo, comme le Victor du drame Le Roi s'amuse dont s'est inspiré le librettiste) est joué, à l'écran tout comme sur le plateau, par l'acteur Heiko Pinkowski. Dès lors, l'attention est capturée par les très (parfois trop) nombreuses projections vidéo qui nous décrivent le parcours du malheureux : comme Rigoletto, sa femme est morte, ici en donnant naissance à sa fille, mais des flash-back nous dévoilent la liaison de sa femme avec un homme qu'Hugo assassine plus tard, avant de révéler dans une lettre à sa fille qu'il l'a toujours aimée (même s'il n'était pas son vrai père), puis de se suicider.

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Rigoletto à l'Opéra de Lyon
© Stofleth

Les relations à l'ouvrage de Verdi sont ainsi nombreuses, entre Rigoletto/Hugo et le Duc de Mantoue/l'amant, même si l'imagination déborde dans cette histoire parallèle, rendant la double intrigue difficile à suivre et à comprendre. Car cet Hugo est omniprésent sur scène, témoin permanent au plus près des protagonistes. Ainsi quand à la fin de l'acte II, avant le duo de la vendetta, Rigoletto dit à Gilda « Parla, siam soli... » (Parle, nous sommes seuls), on a bien envie de lui dire : non !

Sous les écrans, l'action se déroule dans une morne banlieue des années 1980, les images de barres d'immeubles nous évoquant les grands ensembles de Berlin Est. Le palais du Duc de Mantoue est un bar louche où l'on joue aux machines à sous, peuplé de loubards tatoués en blousons de cuir. Le Duc en costume trois pièces a plutôt le rôle du mafieux, tandis que Rigoletto fait penser à un SDF, balafres sur le visage et bonnet vissé sur la tête. Les immeubles en miniature qu'on pousse sur des roulettes servent à se cacher pour l'enlèvement de Gilda, l'intérieur d'un de ces caissons étant utilisé en chambre où le Duc rejoint Gilda séquestrée, quand elle n'est pas utilisée par Hugo pour visionner son film.

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Rigoletto à l'Opéra de Lyon
© Stofleth

Sans atteindre l'exceptionnel, la distribution vocale est de bon niveau, à commencer par Dalibor Jenis qui tient le rôle-titre sans flancher, même si sa voix plutôt sombre et pas complètement épanouie dans le registre grave ne constitue pas le plus beau timbre parmi les barytons Verdi actuels. Après un début prudent, Nina Minasyan prend ses marques en Gilda, délivrant une belle gamme d'aigus enflés, diminués, piqués, dans une appréciable musicalité mais moins marquante toutefois que sa récente prestation dans Le Coq d'or, ici-même puis à Aix-en-Provence. Troisième rôle principal, le Duc de Mantoue est défendu par Enea Scala à l'aigu toujours aussi inoxydable, y compris un contre-ré pour conclure sa cabalette « Possente amor mi chiama » au début de l'acte II. Le timbre ne sonne pas toujours avec une grande clarté et le style peut sembler athlétique, mais le ténor laisse une bonne impression générale. La séduction vocale s'accroît nettement chez la basse Gianluca Buratto, interprétant un Sparafucile aux notes profondes de très grande ampleur.

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Rigoletto à l'Opéra de Lyon
© Stofleth

Le meilleur pour la fin : saluons l'interprétation absolument somptueuse de l'orchestre placé sous la baguette de Daniele Rustioni, nommé directeur musical de l'Opéra de Lyon à partir de septembre prochain. On décèle beaucoup de personnalité chez le chef italien, de nombreux effets souvent originaux, toujours réussis, entre climax des grands ensembles et finesse des passages plus intimistes. L'air du baryton « Cortigiani, vil razza dannata » en est un bel exemple, avec ses vagues de cordes dont le son enfle follement avant de se calmer, en montées et descentes successives. Un mot également sur la très bonne tenue des chœurs préparés par Benedict Kearns.

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Rigoletto à l'Opéra de Lyon
© Stofleth

Si l'équipe chargée de la réalisation visuelle sera un peu chahutée au rideau final, l'Ukrainien Roman Chabaranok, distribué en Comte de Monterone, recevra de chaleureux applaudissements, enveloppé dans son drapeau bleu et jaune.

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