Le Vaisseau fantôme à Bayreuth, le souffle de la tempête
Au cœur des enjeux de cet opéra romantique entre tous qu'est Le Vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer) de Wagner, l'aspect moral repose sur la rédemption (de Senta) et la longue quête (du personnage central condamné à errer éternellement sur les flots). Le metteur en scène élargit encore ces perspectives en utilisant ici dans l'ouverture le principe d'un prologue muet où se rejoue sous nos yeux le destin fatal de la mère du Hollandais. Celle-ci a une relation avec Daland qui ne tarde pas à la rejeter, provoquant son suicide sous les yeux de son fils. De quoi deviner d'emblée que son retour n'est pas le fait du hasard et qu'en lieu et place de l'union salvatrice avec Senta, il souhaite essentiellement se venger de Daland et de la petite communauté soumise à ses ordres.
Avec la froide détermination d'un héros de roman noir, le Hollandais met son plan à exécution et finira par mettre le feu aux tristes maisons de briques qui abritent le clan de Daland. Plane sur cette intrigue la question de savoir s'il est potentiellement le fils de Daland, ce qui justifierait en un sens le fait que le couple Senta-Hollandais soit rendu impossible dès le départ en raison de la consanguinité. L'irruption finale de Mary qui le tue d'un coup de fusil est tout aussi surprenante et sans explication : a-t-elle découvert la vérité ou veut-elle simplement se venger de ce vengeur meurtrier ? La question restera en suspens. Cette production, comme le Tannhäuser par Tobias Kratzer (nos comptes-rendus), suscite visiblement l'intérêt et l'adhésion des spectateurs de cette édition 2022 du Festival de Bayreuth (bien loin de leurs réactions face à la nouvelle Tétralogie : nos comptes-rendus).
Les conditions sanitaires favorables permettent de se passer des précautions qui avaient contraint à un dispositif acoustique inédit pour permettre aux chœurs de chanter à distance depuis la salle de répétition. Cette année, le célèbre ensemble est de retour, pour le plus grand plaisir de tous les spectateurs venus admirer des forces chorales auxquelles ne manque ni l'abattage, ni la précision ou l'impact des accents qui mordent dans la chair de la voix pour camper fièrement la brutalité et la véhémence de cette population sous influence.
À l'exception de Georg Zeppenfeld et d'Eric Cutler, les autres rôles principaux sont remplacés (par rapport à l'année dernière) par des interprètes qui donnent à leur personnages un caractère très particulier. Elisabeth Teige succède en Senta à la pétulante Asmik Grigorian. La soprano norvégienne remplace le profil adolescent de sa collègue par une impétuosité et un emportement qui laisse exploser un fier caractère. Elle empoigne la Ballade avec virulence, jouant avec une projection énergique et un timbre brillant pour s'imposer dans un rôle où semble déjà percer les prémices d'une future Sieglinde.
Remplaçant John Lundgren (à la dernière minute), Thomas Johannes Mayer peine à rivaliser en capitaine avec cette fille rebelle et furibonde. La grisaille du timbre ne décolle pas d'une expression sans doute trop sobre pour percer le rideau de notes qu'elle lui oppose. La surface vocale est ici un rien confidentielle quand l'orchestre hausse le ton et le couvre inévitablement.
Heureusement, le Daland très contrasté de Georg Zeppenfeld promène sa bonhommie et sa puissance d'expression d'un bout à l'autre de la soirée. L'intonation ne fait jamais défaut, à l'égal d'une capacité à maintenir la ligne par un souffle d'une facilité insolente.
Eric Cutler signe un Erik tout en morbidezza et en délicatesse. Scéniquement bouleversant par la façon de rendre l'injustice qui frappe sa naïveté amoureuse, il sait moduler vocalement des accents qui font exister le personnage au-delà du rôle d'emploi. Moins évidente que Marina Prudenskaya qui la précédait dans le rôle de Mary, Nadine Weissmann ne retrouve pas le velours et l'ampleur qui avaient fait le triomphe de son Erda dans le Ring de Frank Castorf. La fêlure des aigus trahit une capacité d'expression contrariée qui limite la vigueur et ternit l'expression.
Le Timonier d'Attilio Glaser confirme les bonnes impressions qu'il inspirait dans le rôle de Froh. Ténor au phrasé très souple et aérien, il donne au rôle une carrure très contrastée.
Dirigeant pour la deuxième année l'Orchestre du Festival, Oksana Lyniv ne lève pas complètement les doutes relatifs à la cohérence de certains tempi et la capacité à éliminer dans la section des vents certaines scories et maladresses. La terrible virtuosité du dernier acte démontre de belles intentions et un élan dans le nappé et la densité des cordes qui répond crânement aux enjeux sans jamais faiblir.