Christoph Willibald Gluck (1714–1787)

Orfeo ed Euridice

Opéra en trois actes
Livret de Ranieri de’ Calzabigi
Créé à Vienne le 5 octobre 1762 au Burgtheater

Mise en scène : Robert Carsen
Direction musicale : Thomas Hengelbrock

reprise de la mise en scène : Christophe Gayral
scénographie et costumes : Tobias Hoheisel
Lumières : Robert Carsen, Peter Van Praet
reprise des lumières : Matthieu Pouly

Orfeo : Jakub Józef Orliński
Euridice : Regula Mühlemann
Amore : Elena Galitskaya

Chœur et Orchestre Balthasar Neumann

Production du Teatro dell’Opera di Roma en coproduction avec le Théâtre des Champs-Elysées, le Château de Versailles Spectacles et la Canadian Opera Company

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, vendredi 23 septembre 2022

Fidèle aux terres élyséennes sur lesquelles il est chez lui depuis plusieurs années, le contre-ténor vedette Jakub Jozef Orlinski ne pouvait faire ses débuts scéniques parisiens nulle part ailleurs qu’au TCE. Au chanteur délicatement ciselé s’ajoutent désormais les qualités d’un comédien aussi élégant que convaincant, qui trouve dans les épreuves du mythique Orfeo une sorte d’alter ego contemporain absolument irrésistible. Un artiste complet est bel et bien né.

 

Jakub Józef Orliński (Orfeo), Regula Mühlemann (Euridice)

Quelques mois après avoir participé à la création de l’opéra Eurydice de Matthew Aucoin à New York, où il interprétait l’ombre d’Orfeo, voilà que Jakub Jozef Orlinski débute enfin à Paris dans son premier spectacle ; et dans quel ouvrage ? Orfeo ed Euridice de Gluck. Il aurait été surprenant que ce jeune et talentueux artiste, fêté à chacune de ses apparitions par le public du TCE, choisisse un autre théâtre que celui-ci. Toujours attentif aux chanteurs qu’il accompagne avec diligence et lucidité, Michel Franck lui a confié pour son baptême scénique le rôle-titre d’Orfeo dans la production de Robert Carsen présentée avec succès en mai 2018. Jakub Jozef Orlinski succède à Philippe Jaroussky dans cette œuvre phare du répertoire, connue pour ses différentes versions remaniées au fil du temps par Gluck lui-même, puis par Berlioz. Celle de Vienne retenue ici, de loin la plus dense et la plus ramassée de toute, car sans les nombreux airs et ballets qui seront ajoutés successivement, est sans doute celle qui convient le mieux au contre-ténor polonais. Homogène sur toute la tessiture, sa voix n’est que très rarement prise à défaut, la bravoure ne passant pas ici par les vocalises mais bien davantage par la déclamation, le phrasé qu’il faut nourrir et la substance qui doit soutenir le cantabile. Le musicien que l’on sent armé sait de plus projeter son instrument pour franchir l’orchestre et ne pas se laisser prendre dans les mailles d’un décor réduit à un simple cyclo. Dès les premiers « Euridice » gorgés de douleur, Orlinski fait corps avec ce personnage déchiré dont il traduit la détresse et que la jeunesse rend encore plus touchante (comment imaginer un veuf si juvénile ?). Anéanti, cet Orfeo réalise à l’heure de la séparation, qu’il ne va pas pouvoir vivre sans sa compagne et sa peine une fois déclarée le voici qui se décide sans plus attendre à mettre fin à ses jours. C’est sans compter sur l’intervention d’Amore qui retient son geste et l’invite à descendre aux Enfers retrouver sa bien-aimée.

Traversé par les émotions, puis par les épreuves qui lui sont imposées, l’interprète transcrit avec la plus grande justesse la timidité puis l’assurance qui gagne son personnage, à mesure qu’il parcourt ce terrifiant voyage. L’artiste sait user du charme de son timbre, des couleurs de son instrument qu’il adapte en fonction des situations ; on comprend alors que les Furies finissent par accueillir ce doux et volontaire poète et le laissent franchir les rives du Styx vers des lieux moins sauvages, laissant tomber à cette occasion leurs oripeaux comme pour sortir de leur gangue et célébrer de l’arrivée du printemps (très belles interventions du Chœur Balthasar Neumann).

Son « Che puro ciel » limpide et caressant est une réussite, aussi intensément vécue que son « Che faro senza Euridice », moment de bascule avant le lieto fine qui permettra au couple de se reformer. Plus encore que la performance vocale, les premiers pas scéniques du musicien étaient attendus. Là encore Orlinski n’a pas déçu ; concentré, intériorisé, résolument physique, son jeu très naturel et lui aussi plein de charme, apporte beaucoup à ce héros qu’il fait sien. Pas besoin dans cette conception très épurée de Carsen, de montrer ses prouesses sportives – bien que l’on sente chez cet athlète une extrême vitalité – mais la simplicité et l’évidence dont il pare son Orfeo nous le rendent encore plus proche. Il retrouvera très vite ce rôle en concert et sur la scène du Met avant d’y revenir on le suppose, avec régularité.

Elena Galitskaya est un Amore piquant qui joue avec espièglerie l’ambiguïté sexuelle, homme à sa première apparition, puis femme à la seconde. Seule ombre au tableau l’Euridice au soprano saturé et à la diction exagérément prononcée de Regula Mühlemann, qui nous fait regretter la présence autrement plus charnelle de Patricia Petibon, un parti pris désagréable qui la désavantage dans les duos avec le contre-ténor.

La mise en scène de Robert Carsen, décidément très présent à Paris en cette rentrée, qui unit les trois actes en un seul tout juste séparés le temps d’un rideau, reprend, recycle diront certains, les éléments qui font son style et composent son esthétique : matériaux bruts, espace vide faiblement éclairé, costumes d’aujourd’hui, déplacements très étudiés pour un traitement théâtral minimaliste mais toujours en accord avec l’argument, rendu ici dans sa plus vive nudité. Thomas Engelbrock à la tête du Balthasar Neumann Orchestra retrouve à nouveau cet opéra pour lui fondateur et auquel son nom reste attaché grâce à l’inoubliable version chorégraphiée par Pina Bausch. Accents rugueux, tempo vigoureux confèrent à ce drame aux accents tantôt lugubres, tantôt paradisiaques sa grandeur, révélant par son geste la synthèse des ambitions du compositeur dont la portée des enjeux de sa contre-réforme se font ici clairement sentir.

Jakub Józef Orliński (Orfeo)

 

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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