Jacques Offenbach à l’Opéra Comique : un « Voyage dans la Lune » enchanteur

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Comme après un lointain voyage, l’étourdissement se dissipe lentement au retour sur terre, laissant place, tout simplement, à l’émerveillement. Presque à l’incrédulité.

Car les ressources mises à contribution pour monter cette féerie d’Offenbach créée au Théâtre de la Gaîté le 26 octobre 1875, n’ont pas de prix et ne rentrent dans aucun budget.

La capacité de se mettre à hauteur de jeunes artistes avec autant d’exigence, d’humilité, d’écoute et de perfection suppose une très fine perception de l’enfance et de l’adolescence.

Conjugués avec l’expérience, l’intelligence et un goût parfait, le résultat atteint un niveau de qualité digne des prestations de l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Évoquant même la délicieuse fraîcheur et la pureté des interventions des « Drei Knaben » dans la Flûte enchantée.

 Certes, la durée a été réduite d’un quart (avec notamment la suppression -judicieuse en effet !- du « marché aux femmes »).

Le choix d’un jeune ténor, séduisant, musicien sensible, (Arthur Roussel) pour le rôle travesti du Prince Caprice -confié à l’origine à la fameuse Zulma Bouffar- pâtit d’un manque de projection (diction confuse, trac ?).

Quant au texte, très simplifié, il s’éloigne indiscutablement de la profusion et de l’insolence des librettistes, Vanloo, Leterrier et Mortier, même si les « grains de sel » d’Agathe Mélinand (un « hug » incongru entre le Roi V’lan et le Roi Cosmos) sont supposés pimenter l’ensemble.

L’essentiel de l’intrigue reste intact, son caractère comique également. Le roi V’lan (Franck Leguérinel, familier du répertoire, seul adulte professionnel dont la solidité vocale et l’aisance scénique se propagent à l’ensemble du plateau) et son fils indécis -nommé Caprice !- flanqués du savant Microscope se laissent convaincre de partir sur la lune.

Après le recours à l’Observatoire (ballet de lunettes astronomiques réglé au cordeau), l’Atelier des forgerons (Chœur directement puisé par Offenbach dans la tragédie Lyrique, Isis, de Lully comme la scène suivante « du froid » dont Purcell se souviendra pour son King Arthur) et les Artilleurs permettent au trio de s’envoler « en canon » -comme chez Méliès- vers le royaume des Sélénites.

Ils leur apporteront la pomme et la découverte de l’amour (Princesse vocalement en devenir mais pleine d’assurance et de justesse scénique de Ludmilla Bouakkaz). 

Après l’éruption volcanique qui sauve les deux peuples du froid, tous célèbrent le superbe « clair de Terre » qui s’élève lentement.

Les effets spéciaux calibrés et efficaces contribuent à la beauté simple de l’ensemble, sans complaisance vulgaire, ni vaine restitution de la luxuriance d’origine.

Les artisans de cette réussite, Laurent Pelly pour la mise en scène et les costumes d’un charme et d’une invention dignes des grands couturiers, les décors simples et ingénieux (Barbara de Limburg) sculptés par les lumières de Joël Adam, la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, créée il y a six ans, témoignent tous d’un travail approfondi.

Bien loin d’un coup d’épée dans l’eau, la formation offerte par la Maîtrise révèle une ténacité et un engagement qui constituent des atouts exceptionnels pour l’avenir.

La joie sensible des jeunes interprètes dirigés par Sarah Koné, l’enthousiasme virevoltant de la directrice musicale, Alexandra Cravero à la baguette, l’Orchestre des Frivolités Parisiennes dont l’effectif sonore procure un équilibre appréciable, démontrent la pertinence d’une initiative coproduite avec l’Opéra National Grec et Angers-Nantes Opéra.

Dommage que le même sujet, au même moment, ait été traité par le Centre français de promotion lyrique et le Palazzetto Bru Zane avec des objectifs complètement différents (lancer des carrières d’adultes) et une esthétique plus triviale.

Une réalisation exemplaire qui ravira tous les âges et mérite la plus large diffusion.

Paris, Opéra-Comique, le 24 janvier 2023

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques : Stefan Brion

 

 

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