C’est en plein cœur des réjouissances carnavalesques que l’Opéra de Nice Côte d’Azur a choisi de mettre à l’affiche la célèbre Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti, dans une coproduction entre l’institution niçoise et le Teatro Verdi de Pise. Si émotion et déchirements amoureux sont au programme, la prestation n’en promet pas moins quelques rebondissements...

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Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein

Première surprise, l’écran des surtitres annonce dès notre arrivée dans la salle le remplacement de Mario Cassi dans le rôle d’Enrico par le baryton bulgare Vladimir Stoyanov. Un coup de théâtre n’arrivant jamais seul, Oreste Cosimo, incarnant initialement Edgardo, se révèle être souffrant depuis le matin même. Le rôle sera donc confié à Zach Borichevsky, qui a assisté aux répétitions aux côtés de sa femme Kathryn Lewek (Lucia) et avait endossé les traits du personnage huit ans plus tôt. Ces péripéties ne font que confirmer la « malédiction » liée à la représentation de l’ouvrage à Nice : en 1885, un incendie s’était déclaré au terme de l’exécution de l’opéra !

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Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein

Dès les premières notes, on découvre un orchestre aux couleurs sombres, sobrement dirigé par Andriy Yurkevych, au geste fin et assuré. La mise en scène de Stefano Vizioli renvoie à la fin du XIXe siècle, dans un décor antinomique où s’affrontent la blancheur de la nature et la noirceur du pouvoir politique. Souvent de rigueur dans cet ouvrage inspiré de Walter Scott, les kilts écossais sont éclipsés à la faveur d’un univers de suggestions et de l’imaginaire.

Concernant la distribution, Philippe Kahn (Raimondo) se montre particulièrement à l’aise dans les passages récités, tandis que Karine Ohanyan (Alisa) brille par ses notes chaleureuses en voix de poitrine. Maurizio Pace, interprétant le défunt Arturo, se distingue par son timbre délicat à l’intensité modérée. La théâtralité est également au rendez-vous avec Vladimir Stoyanov, dont les regards et gestes lancés semblent en permanence apostropher le public. Sa voix est bien placée et ses longues tenues ravissent les spectateurs.

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Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein

Très attendu, Zach Borichevsky réalise la prouesse de chanter le rôle d'Edgardo en costume et d'assurer tous les déplacements requis par la mise en scène ! Il semble tout à fait détendu malgré l’ampleur de cette tâche inattendue, arborant une parole articulée qui reflète parfois un accent américain. Il excelle dans les passages lyriques et joue habilement sur les variations d’intensité. Une sincère complicité se dégage des duos avec Kathryn Lewek, comme l’illustrent les baisers, caresses et embrassades auxquels ils s’adonnent. Cette dernière file une Lucia toute en émotion : ses cris, vocalises et vibratos sont toujours subtils et sans exubérance. À la fin du deuxième acte, une agitation légère se fait ressentir au sein de l’audience : « c’est l’air de la folie », entend-on chuchoter discrètement. En effet, le clou du spectacle est venu ! La soprano en proie à des hallucinations enchaîne les ornements sans perdre de sa finesse. La flûte qui remplace l’harmonica de verre se marie intelligemment avec la voix. L’orchestre assure sa fonction de soutien et souligne admirablement la pléthore de retournements de situation.

Éminemment romantique et tout en sentiments, la prestation en partie impromptue aura su ravir le public, qui a applaudi avec ardeur chacune des scènes de l’œuvre.

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