Sous les prémisses d’un été qui s’annonce flamboyant, l’Opéra de Nice Côte d’Azur a choisi La Bohème de Giacomo Puccini, ouvrage poignant conjuguant Éros et Thanatos. Revendiquant la force vitale face au défaitisme, la mise en scène de Kristian Frédric se tourne vers les années 90 plongées en plein cœur de la pandémie de VIH. Entre lieux d’inspiration warholienne et expression de sentiments profonds, cap sur la résilience et la ferveur de vivre, véritables maîtres-mots de la soirée.  

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La Bohème à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

Le rideau n’est pas encore levé que le public s’interroge déjà face aux sons bruités et électroniques faisant office de générique. Le sous-titre choisi – « Les flocons de neige des derniers souffles » – s’explique d’après le metteur en scène par la volonté de s’évader, de maintenir le rêve jusqu’à la mort. L’opéra transporte alors le public vers une fabrique d’artistes regorgeant de matériel de peinture ainsi que de corps transsexuels nus. C’est dans ce cadre que l’on découvre la distribution masculine composée de Serban Vasile (Marcello) qui fait preuve d'une aisance et d'un charisme remarquables, Jaime Pialli (Schaunard) doté d’une magnifique projection vocale et de médiums brillants, et Andrea Comelli (Colline) qui gère à la perfection ses longues phrases parsemées d'un ample vibrato.

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La Bohème à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

Apparaît également le couple phare de l’ouvrage que filent Rodolfo et Mimi, respectivement interprétés par Oreste Cosimo et Cristina Pasaroiu. Si le premier se montre légèrement en deçà niveau puissance et affirmation, il s’avère émouvant et subtil lors de ses passages solistes. Mais c’est bel et bien la captivante soprano qui rafle tous les honneurs : ses changements de registre sont réalisés avec aisance, tout comme sa fine gestion des nuances. Sa voix lyrique et expressive capture à la perfection le romantisme et la passion de ce personnage tout en fragilité. Son intensité émotionnelle ne faiblit pas – même lorsque la mise en scène l’amène à chanter un poireau à la main à la fin du premier tableau.

Dans le rôle de Musetta, Melody Louledjian brille par son parler articulé et théâtral que viennent souligner ses expressions faciales. À ses côtés, les chœurs d’hommes sont enjoués et solides. Leur puissance et leur synchronisation apportent à l’ensemble une verve certaine, conforme à la dimension scénique désirée. L’Orchestre Philharmonique de Nice, conduit par le geste sûr de Daniele Callegari, se révèle constamment passionné et énergique, quitte à manquer parfois de subtilité dans les passages en tendresse.

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La Bohème à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

Pleinement immergées dans l’univers des années 1990, les transitions exposent tour à tour des interviews de Freddie Mercury et des témoignages de personnes venant d’apprendre leur séropositivité. Las, si dans le cadre d’une adaptation contemporaine il apparaissait pertinent de transposer la maladie de Mimi en sida, les clichés sur la décennie sont omniprésents, peu subtils et desservent le déroulement fluide de la narration. Entre les flocons présents en filigrane (synonymes de vulnérabilité), les excès d’une jeunesse insouciante et ces transitions lourdes, plus juxtaposées que tissées ensemble, la toile sonore manque d’équilibre et d’homogénéité.

Le public n'a pas manqué de réagir bruyamment avant même les saluts, huées, sifflets et insultes pleuvant dans la salle dès les transitions. C'est le mérite paradoxal de cette production : l’opéra est ainsi redevenu — comme à ses origines — ce lieu de vie où les spectateurs n’hésitent pas à exprimer directement leurs opinions.

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