Opéra
“Breaking the Waves” acclamé à l’Opéra Comique

“Breaking the Waves” acclamé à l’Opéra Comique

02 June 2023 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Durant trois soirs, le 28, 30 et 31 mai, il a été possible de découvrir à l’Opéra Comique une adaptation endiablée du film de Lars von Trier Breaking the Waves. Missy Mazzoli et Royce Vavrek livrent un opéra porté par une chanteuse et comédienne hors pair qui sème le trouble sur les comportements qu’il faut avoir pour respecter la morale d’une communauté.  

Une adaptation de Lars von Trier

En 1996, le réalisateur danois Lars von Trier reçoit le Grand Prix du jury à Cannes pour son film Breaking the Waves, dans lequel il retranscrit le destin tragique de Bess, jeune femme vivant au sein d’une communauté calviniste sur l’île de Skye, au Nord de l’Écosse. En 2016, le librettiste Royce Vavrek décide de l’adapter en opéra et collabore pour la seconde fois avec la compositrice Missy Mazzoli pour monter une œuvre spectaculaire qui recevra l’International Opera Award pour la meilleure création.  

Breaking the Waves est une histoire d’amour dont l’ardeur mènera ses personnages à leur perte. Une descente aux enfers dessinée avec un réalisme forcené par Royce Vavrek, transcendée par la scénographie de Soutra Gilmour, la musique de Missy Mazzoli et le jeu de Sydney Mancasola (Bess). 

Mysticisme, bonté ou folie ? 

Pour certains, Bess est “folle”, elle ne parvient pas à contrôler ses émotions, emportée par un tourbillon qui l’emmène toujours plus en profondeur. Pour d’autres, Bess est simplement “trop bonne”, une qualité qui la poussera à bout. Pour d’autres encore, Bess est une croyante qui place aveuglément son destin dans les mains de Dieu. Mais où se place la limite entre mysticisme, bonté et folie ? Et si les trois pouvaient coexister en une seule et même personne, créant le trouble, la perte des repères ? 

Cette ambivalence des ressentis constitue le point d’ancrage de cette œuvre qui laisse au spectateur la possibilité de se faire son propre avis, d’être porté par des émotions contradictoires. Elle crée un personnage complexe qu’il est difficile de cerner : que ressent Bess ?, a-t-elle pleinement conscience de ses actes ? La chanteuse lyrique Sydney Mancasola ne fait qu’accroître cette complexité avec un jeu qui laisse planer le doute.

La Bess hypnotique de Sydney Mancasola

Sydney Mancasola recevra pour ce rôle un Herald Angel lors du Festival d’Edimbourg. Il faut dire que sa prestation est totale tant au chant que dans son jeu et sa présence scénique. La Bess qu’elle propose n’accepte pas la demi-mesure et sa sensibilité est transposée dans sa voix de soprano. Son corps se meut dans une gestuelle légère et souple, en accord avec sa bonté. Mais parfois, c’est sa folie qui prend le dessus, dans ces instants où sa croyance est transposée dans une sorte de schizophrénie, un dialogue intérieur qui la déchire de part en part. Bess apparaît alors les mains tournées vers le ciel, encerclée de “spectres religieux”, d’hommes aux torses striés de rouge – une référence au Christ ? – qui parlent en chœur avec elle. Leurs voix se mêlent dans une litanie déconcertante, un cri désespéré qu’elle ne peut pas contrôler. 

 La dépossession de son corps

Breaking the Waves porte le corps au centre de son récit, donnant naissance à des scènes d’une grande sensualité. Alors que Bess n’a jamais connu l’amour, son union avec Jan lui fait entrevoir une nouvelle réalité : celle du plaisir pur, de l’orgasme. Sydney Mancasola et Jarrett Ott (Jan) se livrent ainsi à ces scènes d’amour où le plaisir charnel n’est pas seulement insinué : ils s’embrassent, se touchent, font l’amour, parlent crûment, se désirent et ne le cachent pas. Le naturalisme de ces instants a été parfait par Sara Brodie, qui collabore “aux mouvements et coordination d’intimité”. 

Ce plaisir charnel intense laisse place à la destruction lente du corps, à l’humiliation. Alors que Jan devient tétraplégique, Bess n’a plus mainmise sur son corps. Il devient un moyen de soigner celui qu’elle aime, à tel point qu’elle s’oublie, ne prenant plus en compte ses ressentis. En s’offrant aux hommes, elle brise les vagues en allant à l’encontre de la morale de sa communauté, mais d’un même coup, les vagues se brisent sur elle, la frappant toujours un peu plus fort. Bercée par ses illusions, elle est prise en étau dans des remous à la puissance croissante. 

Breaking the Waves

Briser les vagues… Soutra Gilmour utilise cette image pour proposer une scénographie qui entre pleinement dans le thème. Sur scène se déploient des brise-lames conçus pour “protéger contre la houle du large en la faisant briser en avant du plan d’eau”, et agencés de manière à parfaire la forme de la proue d’un navire, une forme qui prendra tout son sens bien plus tard dans l’histoire. Ce décor est posé sur une plateforme tournante qui permet, au fil des actes et des scènes, de transformer l’espace scénique en multipliant les lieux. 

A cette construction monumentale se joignent des projections vidéos – conçues par Will Duke – qui immergent le spectateur dans des ambiances lumineuses diverses. Et puis il y a la musique, cette composition sonore contemporaine qui fusionne à la perfection avec la mise en scène. Comme l’explique Missy Mazzoli : “j’allais pouvoir explorer la psychologie des personnages de manière très profonde et très complexe parce que j’allais utiliser la musique comme principal moyen d’expression”. Cette phrase rend compte de toute la profondeur de la partition musicale, qui souligne chaque instant en transposant leur puissance en notes.

 

Adapter le film coup de poing de Lars von Trier représentait un pari élevé que Missy Mazzoli et Royce Vavrek ont su relever avec brio. Par cette forme nouvelle, ils donnent un tout autre aspect à l’œuvre originale, en tirant profit des particularités de leur art. Le public a été happé par cette inventivité et cette interprétation époustouflante, acclamant sous un tonnerre d’applaudissement l’ensemble des artistes.

 

Visuel : ©Sydney Mancasola (Bess McNeill), choeur Aedes, photo de Stephan Brion

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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