Maria de Buenos Aires au Grand-Théâtre de Genève © Carole Parodi

Maria de Buenos Aires, opéra-tango onirique à Genève

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L’opéra-tango d’Astor Piazzolla, Maria de Buenos Aires, est donné pour la première fois au Grand-Théâtre de Genève, dans une mise en scène de Daniele Finzi Pasca qui souligne, avec la chorégraphie de Maria Bonzanigo, la puissance onirique de l’œuvre. Dans le rôle-titre aux allures d’icône martyre qui condense les racines interlopes du tango, Raquel Camarinha se distingue autour des interventions du duende et de la voix du payador, transposées pour un trio féminin.

Maria de Buenos Aires au Grand-Théâtre de Genève © Carole Parodi

Depuis le début de son mandat, Aviel Cahn s’attache à élargir le répertoire du Grand-Théâtre de Genève au-delà du répertoire « académique ». C’est ainsi qu’après une ouverture de sa saison inaugurale avec la création scénique en Suisse d’Einstein on the beach de Glass, l’institution helvétique donne pour la première fois en ses murs – et avec la même équipe de production –  une autre œuvre majeure du théâtre musical contemporain, désormais régulièrement programmée sur les scènes lyriques. Avec cet opéra-tango, le compositeur argentin, comme le minimaliste américain, s’affranchit des codes usuels du genre. Evocation, à la manière d’une passion christique, de la destinée d’une chanteuse des bas-fonds de Buenos Aires promue au rang d’icône, l’ouvrage est séquencé en 17 numéros comme autant de variations sur l’esthétique du tango nuevo développée par Piazzolla.

Maria de Buenos Aires au Grand-Théâtre de Genève © Carole Parodi

S’ouvrant sur une façade funéraire, devant laquelle le cercueil de Maria voit défiler les recueillements, la scénographie de Hugo Gargiulo introduit le spectacle de Daniele Finzi Pasca comme une commémoration baignée par l’aura du rêve, mettant en valeur l’inspiration surréaliste du texte d’Horacio Ferrer. Avec la complicité de six danseurs de la Compagnie Finzi Pasca, la chorégraphie de Maria Bonzanigo, qui emprunte au langage circassien, la mise en scène dévoile la trajectoire funambule de l’héroïne – face à la bonne société portègne alignée dans des balcons qui s’élèvent du plateau avant de retourner s’enfoncer dans ses profondeurs – puis celle de sa mémoire, au milieu d’évocations surnaturelles, à l’exemple d’anges au milieu de lamelles sulfurisées miroitant d’un rouge infernal, ou encore d’acrobaties soulignant une narration onirique portée par le duende, réinterprétation de cette sorte de génie surnaturel de la mythologie populaire hispanique. Cette traversée se referme sur le même mur sépulcral qu’au début : de son faîte descendent des rayons de lumière qui enveloppent l’ultime hommage à celle qui s’est transsubstantiée en icône.

Maria de Buenos Aires au Grand-Théâtre de Genève © Carole Parodi

En symbiose avec une scène où se réinvente en images l’atmosphère qui se dégage des mots, l’orchestration a été adaptée pour la salle du Grand-Théâtre. Dans l’esprit de ce qui avait été fait pour Einstein on the beach, les étudiants de la Haute école de Genève sont en fosse et dans les choeurs, sous la direction, ici, de Facundo Agudin. La qualité du travail de sonorisation magnifie le recalibrage de la pâte orchestrale, où la pulsation de la danse et de sa mélancolie lancinante est élargie aux dimensions symphoniques. Raquel Camarinha dévoile l’aura de la Maria idéale avec une homogénéité dans la couleur et dans l’intonation qui sert autant le style musical que le caractère du personnage. Confié de manière inédite à un trio féminin qui contribue à diffuser l’icône Maria au-delà du rôle lui-même, les deux figures masculines qui jalonnent le récit sont différenciées avec justesse, entre la rondeur de la voix du payador d’Inés Cuello et les deux voix du duende, Beatriz Sayad, concentré hispanique à la déclamation âpre, et Melissa Vettore, plus lyrique. Une Maria de Buenos Aires qui, sans facilité sentimentale, vibre d’émotions, musicales et visuelles.

Gilles Charlassier

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