Turandot des grands soirs à l’Opéra de Paris

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Il est de ces moments magiques où l’opéra est ce qu’il doit être : union des arts, poésie, chant, lumières, musique, décor. La mise en scène de Robert Wilson, créée en 2018 à Madrid et en 2021 à Paris, aurait pu ressembler à toutes celles qu’il a signées depuis plus de 50 ans. La stylisation, le raffinement esthétique (armures antiques) charment naturellement l’œil mais il se passe quelque chose de plus.

Chaque attitude, variation d’intensité lumineuse, apparition ou éloignement des protagonistes, occupant l’espace scénique dans sa triple dimension, prend un sens précis et exprime une émotion. Ce qui était moins évident il y a trois ans : la scène « joue » littéralement la partition en osmose avec l’orchestre.

A la tête d’une formation nationale très en verve, le chef Marco Armiliato, sollicité sur les scènes les plus prestigieuses, livre ici une lecture aussi limpide que vivante du testament inachevé de Puccini. D’un geste sensible, d’une battue enlevée, il s’attache à mettre en valeur les subtilités et les audaces d’une orchestration qui faisaient jubiler Ravel, tout en dessinant de grandes orbes dramatiques parfaitement conduites.

L’attention aux chanteurs atteint une telle intensité que le public, sous le coup de l’émotion, semble parfois s’arrêter de respirer. Ainsi de l’intervention de Liu (Ermonela Jaho aux « messa di voce » sur le fil de la voix) lorsqu’elle commence tout en douceur son aria du premier acte Signore ascolta puis se sacrifie au dernier.

La langueur où elle puise sa force contraste avec l’apparente autorité de la princesse de glace. Dans le rôle de Turandot, la soprano Tamara Wilson, venue de l’Arizona, remplace Sondra Radvanovsky et fait des débuts fracassants sur la scène parisienne. Porté par une technique infaillible et un timbre éclatant, son chant se tend comme un arc pour s’humaniser au dernier tableau dans la révélation de l’Amour.

Le ténor, lui aussi venu d’Outre-Atlantique, Brian Jagde, aborde le rôle de Calaf avec une assurance de conquérant et de solides moyens vocaux. Son Nessun dorma met, comme il se doit, la salle à ses pieds.

Les vieux pères ne sont pas en reste de vaillance et de projection : Carlo Bosi, sobre Altoum perché dans les airs et Mika Kares, Timur de noble envergure physique et vocale.

Le Mandarin (Guilhem Worms) impressionne par sa projection et la rondeur du timbre tandis que les ministres Ping (Florent Mbia), Pang (Maciej Kwasnikowski) et Pong (Nicolas Jones, aussi excellent danseur) tous trois membres de la Troupe lyrique de l’Opéra, rivalisent d’agilité et de sens musical. Leur jeu d’automates à têtes branlantes ne les empêche pas de chanter aussi bien qu’ils bougent.

L’ardeur des Chœurs, avides de sang au premier acte, cède ensuite à des nuances bienvenues qui vivifient la partition lui apportant le relief qu’elle exige, y compris les chœurs d’enfants (Chœurs de l’Opéra et Maîtrise des Hauts-de-Seine).

Les acclamations finales saluent une réussite autant individuelle que collective incluant la mise en scène.

Un choix de reprise qui se révèle pleinement justifié.

Pour beaucoup, une découverte -celle du vrai plaisir de l’opéra- et, pour tous, une version de Turandot, de très haut vol.

Bénédicte Palaux Simonnet 


Paris, ONP Bastille, le 6 novembre 2023     

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