Les voix des Contes d’Hoffmann

À la Bastille, la reprise de la production de l’opéra d’Offenbach est servie par une distribution de grande classe.

Les voix des Contes d'Hoffmann

On a voulu voir la reprise de l’opéra fantastique d’Offenbach, Les Contes d’Hoffmann (1881) dans la mise en scène de Robert Carsen, pour la direction musicale et les voix. Cette production, créée avec un grand succès en 2000, de la seule œuvre sérieuse de l’amuseur public du Second Empire nous avait laissé un vif souvenir. Or quelques heures avant la première, jeudi 30 novembre, on apprenait qu’en raison d’une grève de certains personnels, le spectacle serait donné sans ses décors. Mais avec la mise en scène et les costumes de la production originale. On a maintenu notre venue et on ne l’a pas regretté.

On avoue en effet qu’on avait toujours trouvé un rien laborieuse la mise en abyme conçue par Robert Carsen, qui déroulait le récit des amours forcément malheureuses du poète Hoffmann alternativement sur la scène d’une salle d’opéra, dans la fosse d’orchestre, les coulisses, les fauteuils de velours rouge où prenaient place tour à tour les nombreux protagonistes de cette quête de l’amour absolu.

Pas de décors, donc, mais le fond de scène de l’Opéra Bastille étant plongé dans le noir, les chanteurs en costume se découpent comme s’ils émergeaient d’un tréfonds mystérieux. Ce qui contribue grandement à l’atmosphère d’étrangeté dans laquelle baigne cet opéra fantastique au long cours (3h30 dont deux entractes) où, devant une assemblée de pochards réunis dans une taverne, le poète Hoffmann fait le récit de ses amours passées.

En revanche, la direction des acteurs/chanteurs est maintenue et c’est heureux, même si elle est parfois un peu trop appuyée. Comme dans la séquence de la poupée mécanique Olympia, la première des amoureuses d’Hoffmann, qui après avoir fait l’admiration de tous échappe au contrôle de son créateur, le savant Spalanzani, et dans une crise d’hystérie érotique se jette littéralement sur le pauvre Hoffmann qui n’en demandait pas tant !

Bonne pioche sud-coréenne

Avant d’aborder les voix, il convient de saluer la première apparition dans la fosse parisienne de la cheffe sud-coréenne Eun Sun Kim. De sa petite silhouette énergique, elle dirige d’une main très sûre et a manifestement conquis l’orchestre et le public de l’Opéra de Paris. Sa sensibilité, son sens de la précision et de la nuance éclatent notamment lors de la fameuse Barcarolle qui ouvre le troisième acte. Elle en fait entendre les scintillements orchestraux avant d’accompagner délicatement le déploiement des voix, sans jamais les couvrir. Et, toujours dans ce même troisième acte, la maestria avec laquelle elle dirige l’époustouflant air d’ensemble qui réunit le septuor de chanteurs et le chœur, éblouit. C’est une très bonne pioche pour le patron de la maison, Alexander Neef, qui a également rassemblé pour cette reprise une distribution vocale de premier plan.

À commencer par le rôle-titre, le ténor Benjamin Bernheim dont la voix allie soyeux, justesse et puissance, parfait pour incarner le poète à la mémoire embrumée par l’alcool. Avec son allure lunaire de ravi de la crèche, il traverse le plateau ébahi et retombe toujours dans les mêmes panneaux sentimentaux. Par contraste, sa Muse et mentor, qui se réincarne dans le personnage de son compagnon de beuverie, Nicklausse, a les pieds sur terre. Interprétée par la mezzo allemande Angela Brower, toute en finesse vocale et scénique, elle met en garde Hoffmann contre ses fantasmes, en vain.

Autre personnage multifacettes, le baryton-basse américain Christian Van Horn, malgré une diction parfois empâtée du français, impressionne par sa prestance dans les différentes incarnations du Malin : le Conseiller Lindorf, l’escroc Coppelius, le magicien Dapertutto, le Docteur Miracle, tous aussi maléfiques et sardoniques à souhait.

Poupée hors de contrôle

Des trois amours d’Hoffmann, c’est évidemment la première, la poupée mécanique Olympia qui ravit la vedette, jouée par une Pretty Yende en très grande forme. Non seulement la soprano sud-africaine se joue des trilles, vocalises et autres suraigus voulus par son (seul) grand air « Les oiseaux dans la charmille… » mais elle en rajoute dans l’hystérie, chevauchant frénétiquement Hoffmann avant de se désintégrer.

Plus discrète mais très émouvante, malgré une prononciation parfois abrupte du français, la soprano américaine Rachel Willis-Sorensen chante avec beaucoup de sensibilité la cantatrice Antonia, qui au prix de sa vie, doit choisir entre son art et l’amour du poète jaloux. Impériale, la dernière du trio, la mezzo Antoinette Dennefeld en courtisane Giuletta croqueuse de diamants très Dolce vita, sonne le retour au réel qui survient à l’épilogue.

Parmi les (nombreux) seconds rôles, il faut citer la mezzo Sylvie Brunet-Grupposo, saisissante apparition de la défunte mère d’Antonia, elle-même cantatrice, venue tirer sa fille du côté de son art et de la mort. Et le ténor italien, Leonardo Cortellazzi qui, entre autres personnages, joue Franz, le serviteur du père d’Antonia et chante avec brio et humour son fameux air de la méthode.

Photo Émilie Brouchon

Les Contes d’Hoffmann à l’Opéra Bastille, jusqu’au 27 décembre, http://www.operadeparis.fr
Direction musicale : Eun Sun Kim. Mise en scène : Robert Carsen. Décors & costumes : Michael Levine. Responsable de la reprise : Marguerite Borie. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Philippe Giraudeau. Dramaturgie : Ian Burton. Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano
Avec Benjamin Bernheim, Christian Van Horn, Pretty Yende, Rachel Willis-Sorensen, Antoinette Dennefeld, Leonardo Cortellazzi, Christophe Mortagne, Cyrille Lovighi, Christian Rodrigue Moungoungou, Vincent Le Texier, Sylvie Brunet-Grupposo, Alejandro Baliñas Vieites. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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