En ce 18 janvier 1872, Offenbach tente pour la quatrième fois sa chance à l’Opéra-Comique avec Fantasio, dont le livret a été écrit par Paul de Musset d’après la pièce de son frère. Ce ne sera ni un franc succès ni un cuisant échec, mais l’œuvre, retirée de l’affiche au bout de quinze représentations, sera vite oubliée, après avoir suscité mainte critique acerbe. De fait, cet hymne à la paix, composé par le plus allemand des compositeurs français, pouvait-il être accueilli favorablement ? En ces lendemains de guerre, le Français se fait volontiers revanchard – pour ne pas dire belliqueux – et germanophobe, autant de caractéristiques s’ajoutant à la jalousie engendrée par des années de succès offenbachiens et à l’antisémitisme dont le musicien fut plus d’une fois victime.

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Fantasio à l'Opéra-Comique
© S. Brion

Il fallut attendre le Festival de Radio France Montpellier 2015 pour que l’on redécouvre cette partition attachante entre toutes, où la veine comique du compositeur se fait moins burlesque mais plus tendre, et qui distille une nostalgie « pré-contesdhoffmannienne » touchante, subtile, raffinée… Un CD (Opera rara) et une production scénique (au Châtelet, en 2017) plus tard, Fantasio est maintenant reconnu comme un sommet de l’œuvre d'Offenbach, et l’on sait gré à l’Opéra-Comique d’avoir reproposé, à l’occasion des fêtes de fin d’année, le joli spectacle que Thomas Jolly avait conçu pour le Châtelet.

Tout y est charmant, léger, poétique, tendre, à l’instar d’une partition dont le metteur en scène s’est merveilleusement approprié l’esprit. Nulle relecture appuyée, nulle « modernisation » du livret, mais une confiance totale dans la musique et dans le texte, avec, in fine, non pas l’impression qu’on essaie coûte que coûte de nous convaincre de la modernité de l’œuvre, mais bien au contraire qu’on nous révèle, avec délicatesse et sans jamais forcer les choses, en quoi son esthétique et le message qu’elle délivre nous touchent encore, infiniment. Bravo donc à Thomas Jolly et son équipe (superbes décors et costumes de Thibaut Fack et Sylvette Dequest) pour ce travail d’orfèvre qui aurait mérité d’être préservé par une captation.

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Fantasio à l'Opéra-Comique
© S. Brion

Musicalement, c’est également une très belle réussite, grâce avant tout à un Ensemble Aedes et un Orchestre de chambre de Paris au mieux de leur forme, sous la baguette d’un Laurent Campellone très en verve quand il le faut (effrénée « Chanson des fous » !), mais surtout poétique, tendre (superbe entracte de l’acte II, empreint d’une irrésistible nostalgie), faisant plus d’une fois merveilleusement chanter les violoncelles de l’orchestre, l’instrument offenbachien par excellence.

La distribution est d’une très belle homogénéité et a été particulièrement soignée, avec dans les seconds rôles Anna Reinhold, très drôle en Flamel dépassée par les événements, ou encore Thomas Dolié, qui interprète avec panache les Couplets de la cloche et la Chanson des fous, tout en faisant montre d’un abattage scénique qu’on ne lui connaissait pas ! Le débonnaire Roi de Bavière de Franck Leguérinel trouve en Jean-Sébastien Bou (le Prince de Mantoue) un homologue « italien » à la hauteur de sa verve et de sa bonne humeur même si, vocalement, les couplets dans lesquels le Prince regrette de ne jamais « être aimé pour lui-même » appellent peut-être une plus grande douceur dans l’émission. Le Prince est flanqué d’un aide de camp (François Rougier) impeccable de drôlerie et de tenue vocale.

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Fantasio à l'Opéra-Comique
© S. Brion

Mais les spectateurs n’ont d’yeux et d’oreilles que pour le couple Fantasio/Elsbeth, qui trouve en Gaëlle Arquez et Jodie Devos des interprètes remarquables de style et de fraicheur. La voix de la soprano belge semble depuis quelque temps avoir gagné en rondeur dans le médium et dans le grave. Elle n’en délivre pas moins les vocalises de son air de l'acte II avec aisance, mais c’est surtout dans le très bel air de Psyché (acte III) que le chant legato et la qualité du phrasé de la chanteuse font merveille. Gaëlle Arquez campe quant à elle un Fantasio crédible et convaincant scéniquement, tour à tour cynique, désabusé, drôle, tendre, amoureux… et fait valoir dans son chant ce timbre personnel au petit vibrato serré qui rend ses interventions si touchantes. La ballade à la lune est d’une grande poésie et, dans les duos avec Elsbeth, le timbre de la mezzo se marie idéalement avec celui de la soprano.

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Fantasio à l'Opéra-Comique
© S. Brion

Le public, un peu réservé pendant le spectacle (de nombreux spectateurs découvraient sans doute cette œuvre encore relativement peu connue), laisse éclater sa joie et sa reconnaissance au rideau final. Il s’agit, à n’en pas douter, du spectacle à voir en cette fin d’année à Paris !

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