Le Chevalier à la rose mis en scène par Christoph Waltz © Magali Dougados

Un Chevalier à la rose classique et élégant à Genève

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Onze ans après une énième reprise de la mythique production quadragénaire d’Otto Schenk passée par maintes grandes maisons, le Grand-Théâtre de Genève remet à l’affiche Le Chevalier à la rose de Strauss dans une réinvention d’une mise en scène que Christoph Waltz avait d’abord conçue il y a une dizaine pour l’Opéra des Flandres – alors sous la direction d’Aviel Cahn. Le spectacle, d’une belle sobriété classique, est porté par la baguette souple et décantée de Jonathan Nott, et la retenue de la Maréchale campée par Maria Bengstsson.

Incursion de Richard Strauss dans un registre plus léger après les grands tragédies de Salomé et Elektra, Le Chevalier à la rose peut verser dans la boursouflure de la grosse comédie, en particulier dans les péripéties du baron Ochs, aussi libidineux que désargenté. Rien de tel avec la mise en scène que Christoph Waltz avait imaginé pour ses premiers pas dans le genre lyrique en 2013 à Anvers, et qu’il revisite sur l’invitation du même Aviel Cahn, passé depuis à la tête du Grand-Théâtre de Genève : dessiné par Annette Murschetz, le décor unique imitant la blancheur d’un stuc XVIIIème, se fait, tour à tour moyennant quelques accessoires mobiliers, appartement de la Maréchale, salle de réception chez Monsieur de Faninal et cabinet particulier dans une auberge, et, avec ses portes et ses antichambres à vue derrière de fausses fenêtres, se fait écrin décanté pour des destins qui, sous les lumières calibrées par Franck Evin, s’effleurent au moins autant qu’ils se croisent. Avec les costumes de Carla Teti, plus proches de la bourgeoisie dansant sur les valses de Strauss que de la Vienne de l’impératrice Marie-Thérèse, la sobriété réussie du spectacle tient sans doute également au refus d’une véritable reconstitution d’époque, et prend plutôt le parti de rêverie du livret comme de la partition, dont les anachronismes façonnent une illusion plus authentique que le réel historique.

Le Chevalier à la rose mis en scène par Christoph Waltz © Magali Dougados

Cette économie visuelle et expressive se retrouve dans le plateau de solistes, et tout d’abord chez la Maérchale incarnée avec une belle retenue par Maria Bengstsson. Si d’aucuns pourraient préférer des timbres un peu plus opulents, la délicatesse du sentiment dans sa méditation résignée à la fin du premier acte, ou encore sa fermeté sans éclat face au scandale causé par Ochs, illustrent une noblesse naturelle dans l’intonation qui se déploie dans une émission calibrée avec une évidente justesse. Michèle Losier affirme les élans et les doutes d’Octavian avec un mezzo plein de sensibilité qui n’a pas besoin de forcer l’androgynie pour se distinguer par une remarquable crédibilité face à son initiatrice des choses de l’amour. A rebours de certains Ochs qui n’hésitent pas à forcer le trait, le solide Matthew Rose ne trahit pas le kitsch straussien en vulgarité pour révéler avec un métier certain la rusticité sans gêne du personnage.

Le Chevalier à la rose mis en scène par Christoph Waltz © Magali Dougados

Le reste de la distribution est, pour la quasi totalité en prise de rôle. Si Bo Skovhus a déjà une longue carrière lui, son Faninal lui offre l’opportunité de traduire sa présence dans un chant essentiellement déclamatoire, dont l’autorité ne soumet pas la Sophie plus fraîche que tout à fait juvénile de Mélissa Petit. Parmi la vingtaine de petits rôles qui apparaissent au fil de la soirée, on retiendra les deux membres du Jeune Ensemble du Grand-Théâtre Omar Mancini en ténor italien au stéréotype mélodique tout à fait méridional, quoique un peu contraint, et le notaire mi-raide, mi-diplomate composé avec gourmandise par William Meinert, ainsi que l’aplomb de Stanislas Vorobyov en commissaire de police et la fausse obséquiosité de Denzil Delaere en aubergiste.

Le Chevalier à la rose mis en scène par Christoph Waltz © Magali Dougados

Pour sa dernière production avec le Choeur du Grand-Théâtre de Genève – avant de partir pour Avignon –, Alan Woodbridge confirme sa parfaite maîtrise dans l’intelligibilité des ensembles, complétés à l’occasion par la Maîtrise populaire du Conservatoire de Genève au troisième acte, qui ne confond pas vigueur et masse. Mais c’est peut-être avec la direction de Jonathan Nott que se noue tout le raffinement discret de ce Chevalier à la rose littéral, classique mais pas figé dans la tradition. Sous la baguette à la fois souple et précise de leur actuel directeur musical, les pupitres de l’Orchestre de la Suisse Romande font respirer sans amidon suranné la tendresse pudique sous les embardées comiques et les charmes nostalgiques de la partition de Richard Strauss.

Gilles Charlassier

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