A Dortmund, “La Montagne noire” d’Augusta Holmès sort de l’oubli

- Publié le 16 janvier 2024 à 13:12
Créé au palais Garnier en 1895 sous la baguette de Paul Taffanel, ce grand drame lyrique renaît de ses cendres grâce à la troupe de l'Opéra de Dortmund.
La Montagne noire d'Augusta Holmès

Augusta Holmès (1847-1903) a elle-même conçu le livret de La Montagne noire, opéra en quatre actes qu’elle composa au mitan des années 1880. Cette histoire de serment  fraternel brisé à cause d’une femme se déroule dans les Balkans, deux siècles plus tôt, et trouve son origine dans un récit légendaire colporté par plusieurs chants slaves. Après avoir mis l’envahisseur turc en déroute, deux guerriers monténégrins, Mirko et Aslar, sont accueillis en triomphateurs par les villageois. Un pope les consacre frères de sang, chacun jurant qu’il préservera l’honneur de l’autre, fût-ce au prix de sa vie — vous devinez la suite… Délaissant sa fiancée Héléna, Mirko s’enfuit avec l’esclave Yamina. Aslar le retrouve et le supplie de revenir vers les siens. En vain. Désespéré, il doit finalement se résoudre à tuer Mirko pour sauver son âme, avant de périr à son tour sous un bras ennemi. L’amour les avait séparés, la mort les réunit.

Rumeur guerrière et passion

La partition, sortie de l’oubli grâce au travail des équipes du Palazzetto Bru Zane, ne manque ni de couleurs ni de mélodies. De grands crescendos dramatiques, des rumeurs guerrières qui firent grimacer les pourfendeurs du « wagnérisme », mais aussi un orchestre voluptueux pour peindre les séductions de Yamina, plus déchiré ou résolu lorsque s’épanchent les frères de sang. Les fresques chorales qui commentent la bataille puis célèbrent la victoire à l’acte I, l’Orient pétri de nostalgie que regrette Yamina au II, la passion célébrée par les amants au III, les plaisirs auxquels Mirko s’abandonne au IV ou encore la tendresse virile de ses échanges avec Aslar : Augusta Holmès s’y entend pour animer un tableau et y faire palpiter les sentiments. Elle trouve ainsi sa propre voix, entre le Chabrier de Gwendoline et le Massenet d’Ariane.

Le spectacle imaginé par Emily Hehl hésite entre folklore (l’intervention d’une vraie chanteuse des Balkans en préambule et les costumes traditionnels des villageois), symboles (le disque doré derrière la tête du pope, la croix réduite à une ombre au III, le costume de satyre arboré par Mirko au IV) et modernité (un semblant d’automobile au II, pour matérialiser la fuite à venir ?). Fluide, sa mise en scène a le mérite de rendre l’intrigue assez lisible malgré l’obstacle de la langue : on ne comprend, la plupart du temps, pas un mot de ce que chantent les uns et les autres. Car la quasi-totalité des protagonistes et les chœurs de Dortmund, malgré le relief de leurs interventions, déroulent un français inextricable.

Odalisque ? Femme fatale

Seule exception à cet épais brouillard linguistique, la Yamina d’Aude Extrémo. Son incarnation ténébreuse domine aisément le plateau. Son mezzo au grave joliment pincé et à la ligne sensuelle pour ne pas dire féline, éclipsera vite le soprano pourtant fruité et délicat d’Anna Sohn, qui campe Héléna, la fiancée un peu nunuche. Si Mirko n’hésite pas une seconde entre la première et la seconde, c’est aussi que le personnage est une tête brûlée. Il a l’éclat un peu fruste et la vaillance de Sergey Radchenko, qui laisse deviner l’étoffe d’un Heldentenor. Le baryton Mandla Mndebele donne davantage de contours aux propos d’Aslar, compagnon d’armes loyal et généreux.

Reste que le dispositif scénique n’est pas toujours d’un grand secours. Ses panneaux d’un gris béton assez laid, assemblés de manière à rapetisser le cadre de scène, forment une boîte qui projette ou étouffe le son selon le positionnement des chanteurs. Dans la fosse, très large et complètement découverte, le Philharmonique de Dortmund ne possède pas la palette la plus luxueuse qui soit, mais il est discipliné et tenu d’un bras ferme par Motonori Kobayashi. Espérons que cette attrayante partition nous revienne par des musiciens mieux armés et, surtout, une affiche plus francophone. Peut-être au disque ?

La Montagne noire d’Holmès. Theater Dortmund, le 13 janvier. Représentations jusqu’au 10 mai

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