L'Autre voyage © S. Brion

L’Autre Voyage : Schubert en fragments lyriques à l’Opéra Comique

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En ce début février 2024, l’Opéra Comique met à l’affiche une forme singulière de théâtre musical autour du corpus lyrique de Schubert. L’Autre Voyage s’affirme comme une traversée initiatique articulée autour du deuil, au cœur des thématiques chères au compositeur autrichien, mise en scène par Silvia Costa, et sur un canevas de fragments tissé avec un soin et un instincts remarquables par Raphaël Pichon, qui avec ses musiciens de Pygmalion, fait redécouvrir des pépites méconnues.

L’Autre voyage © S. Brion

Si Schubert est bien connu pour ses lieder, sa musique de chambre et symphonique, il est un pan de sa production qui reste très rarement donné. Pourtant, le corpus lyrique du compositeur viennois est loin d’être anecdotique, avec une quinzaine d’opus, pour la plupart inachevés, et qui recèlent des pages magnifiques, au milieu d’ouvrages inégaux. C’est en quelque sorte pour briser cette malédiction que Raphaël Pichon a imaginé en extraire des fragments pour élaborer une forme de théâtre musical mettant en valeur la singularité du génie schubertien à l’opéra. Avec Silvia Costa, il a tissé un canevas pour composer des tableaux lyriques formant une sorte d’introspection initiatique autour du deuil.

L’Autre voyage © S. Brion

Dans une sorte de continuité avec le travail autour des lieder de Schubert gravé dans l’album Mein Traum, Raphaël Pichon ouvre avec un des Canons op. 113 de Brahms qui part de la mélodie du dernier numéro du Voyage d’hiver, tandis qu’un fil rouge, tel celui du Destin par les Parques, est coupé par une femme quittant son rouet. Après ce prologue tamisé dans une semi-pénombre, le rideau se lève sur la découverte d’un cadavre dans quelque buisson de roseaux, qui va ensuite passer à l’autopsie, moment déclencheur du récit catabatique lorsque le légiste verra dans le corps inerte son propre double mort. La scénographie évolutive au gré des accessoires fait ainsi se succéder les séquences selon une grammaire mémorielle et onirique, qui s’accentue en seconde partie de spectacle, au moment où affleurent les réminiscences, avec l’utilisation habile, et évocatrice, d’archives de films amateurs réunis à Bologne, teintés du sépia du souvenir. L’arche de la consolation réconciliatrice se referme sur l’image de ce fil de la Parque rompu dans le tableau liminaire, sur le fond diaphane d’un choeur de Sacontala.

L’Autre voyage © S. Brion

D’une fluidité confondante, la mosaïque des vingt-six numéros, parfois orchestrés ou arrangés par Robert Percival, et au texte éventuellement adapté pour se fondre dans la dramaturgie, certains moments se distinguent, à l’exemple du saisissant monologue au début du deuxième acte de Lazarus quand l’Homme découvre sa dépouille : les mots et les notes de Simon devant le défunt Lazare résonnent avec une force et une coïncidence exceptionnelles. La détresse mordante est magnifiée par la tension expressive de Stéphane Degout, et l’âpreté des couleurs et des rythmes des pupitres de Pygmalion sous la direction incisive de Raphaël Pichon. On retrouve également certains des plus célèbres lieder orchestrés de manière posthume, tel le Gruppe aus dem Tartarus repris par Brahms. Dans son voyage, le personnage central incarné par Stéphane Degout est accompagné par l’allégorie de l’Amour – qui pourrait être son épouse – ciselée chaleur par Siobhan Stagg, et celle de l’Amitié, défendue par la clarté de l’intonation de Laurence Kilsby, ainsi que l’émouvant Enfant chanté par Chadi Lazreq. La participation de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique confirme que l’expérimentation à la Salle Favart n’est pas un privilège de connaisseurs : il y a dans cet Autre Voyage, au-delà des passages qui peuvent dérouter ou être vus comme une relative faiblesse, de multiples entrées pour l’émotion universelle.

Gilles Charlassier

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