Après le succès de cette production l’an dernier, l’équipe du Komische Oper redonne des ailes aux beaux oiseaux de La Cage aux folles, dans la mise en scène de Barrie Kosky : un condensé d’humour, de bonne humeur et de contemporanéité comme on en a l’habitude avec les productions du metteur en scène australien pour la maison d’opéra berlinoise. Les locaux du Komische Oper étant actuellement en rénovation, c’est sur la scène du Schillertheater à Charlottenbourg que se déroule la soirée. Si les artistes n’évoluent donc pas à domicile, cela ne change en rien au succès de la production : la salle est comble et la standing ovation est une formalité.

Loading image...
La Cage aux folles au Komische Oper Berlin
© Monika Rittershaus

Les fonds de scène aux couleurs fluos sont aussi aguichants que les costumes des danseurs et remplissent l’espace d’animaux et de paysages exotiques. La soirée est baignée par cette « spectaculaire extravagance » comme le dit le personnage de Georges (Peter Renz), directeur du cabaret qui lance les festivités avant le lever de rideau.

Les premières minutes donnent le ton pour le reste de la soirée. Sur scène, les danseurs ont enfilé des costumes à plumes qui feraient de la concurrence à ceux du Lido ou du Crazy Horse. Dans la fosse, l’orchestre imprime un rythme endiablé qui ferait se trémousser même le public le plus réticent. La batterie est plus que présente, les cuivres, flûtes et percussions remplissent l’espace sonore.

Le chef d’orchestre Koen Schoots et ses musiciens participent également de l’opulence et de l’extravagance de ce spectacle dans le spectacle. Ce soir, ils jouent aussi un rôle et deviennent les musiciens du cabaret qu’est La Cage aux folles. D’ailleurs le personnage de Zaza-Albin (Stefan Kurt) s’adresse directement à lui : « Koen, prépare-toi. J’approche ! »

La pièce de Jerry Herman, qui reprend presque à l’identique l’intrigue du film de Jean Poiret, est un savant mélange entre numéros de cabaret sur scène et moments backstage. En cela, elle nous emmène au cœur de la réflexion même de ce que c’est que d’être un artiste sur scène. Travestissement ou pas, tout interprète lorsqu’il monte sur scène endosse un nouveau personnage. Et cette pièce nous prouve que le genre du personnage n’a pas d’importance.

Loading image...
La Cage aux folles au Komische Oper Berlin
© Monika Rittershaus

Mis (presque) à nu à plusieurs reprises, le personnage d’Albin/Zaza/Oncle Albert est la grande star de la soirée. Il révèle la réalité derrière l’artifice en retirant robes, perruques et autres apparats pour se retrouver en collant et corset à plusieurs reprises devant les yeux du public. Ce personnage est une vraie ode à l’identité queer mais aussi au monde du spectacle. Entre le volumineux costume élisabéthain et celui de mère au foyer bien traditionnelle pour impressionner le couple des futurs beaux-parents, il y a tout un monde et surtout tout le travail des costumières et maquilleuses en coulisse !

Au début de la pièce, les appartements de Georges et Albin ressemblent à un véritable royaume du phallus. Présent du papier peint jusqu’aux vases en passant par les canapés, le sexe masculin est immanquable. Dans ce décor, les effets comiques sont assurés par les interventions de Jacob/Ramona (superbe Daniel Daniela Ojeda Yrureta). Ce butler recruté par Georges préfère qu’on l’appelle « la señora de servicio » avec son accent espagnol et ses mimiques poussées à l’extrême. Au paroxysme de la provocation, on se souviendra de Ramona en prêtre qui dissimule (si peu) son string à paillettes sous son aube noire, dans ces mêmes appartements où des cierges et un énorme crucifix ont remplacé les multiples phallus, avant l’arrivée de la future belle-famille de Jean-Michel...

Loading image...
La Cage aux folles au Komische Oper Berlin
© Monika Rittershaus

Les derniers tableaux sont l’occasion de très beaux moments comme le solo d’excuses de Jean-Michel (Nicky Wuchinger) soutenu par la clarinette solo ou encore la grande scène d’ensemble dans le restaurant chez Jacqueline. Les répliques en français ponctuent la soirée comme des clins d’œil constants à l’origine de la pièce. On retiendra un beau « Merde ! » de la bouche d’Albin, qui se laisse emporter par la danse et le chant et retire sa perruque devant Edouard Dindon à la fin de la scène chez Jacqueline. Un geste pourtant simple mais qui déclenche le dénouement de la pièce qui se conclue sur la morale bien connue : « Je suis ce que je suis, et ce que je suis n’a pas besoin d’excuses. »

****1