À l’évidence, ce qui fait l’intérêt – et peut-être le seul – de cette Cendrillon de Jules Massenet à l’Opéra de Lausanne reste le duo vocal de Ruzan Mantashyan dans le rôle-titre et du Prince charmant d’Ambroisine Bré. Deux voix qui se complètent parfaitement dans leurs différences tout à fait marquées. D’un côté le soprano chaud, ambré et modulé de Ruzan Mantashyan offre à son personnage tout ce qu’il faut de mélancolie, sans rien perdre du tranchant et de la projection d’une voix parfaitement assise dans les différents registres et ce dès son air d’introduction (« Ah ! que mes sœurs sont heureuses »). De l’autre, le mezzo dynamique, clair et vif d’Ambroisine Bré. Deux voix qui se rejoignent en empruntant les qualités que l’on attendrait dans la voix de l’autre pour ce qui est des tessitures habituelles, toutes les deux étant particulièrement à l’aise dans le déploiement vocal des longues phrases mélodiques, signatures de Massenet.

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Cendrillon dans la mise en scène de David Hermann
© Jean-Guy Python

L’alchimie en est saisissante dès leur fameux duo « Vous êtes mon prince charmant » de l’acte II, tout comme lors du duo de l’acte III « À deux genoux », une des plus belles pages de Massenet, où l’on retrouve tout ce qui fait le sel du compositeur : le mélisme du chant et des paroles, la tension dramatique, les tempos mouvants scandés d’embardées, les échappées et ponctuations instrumentales. Autant d’éléments qui nous rappellent que l’auteur de cette trop rare Cendrillon est bien l’auteur de Manon et de Werther.

C’est certainement ce qui manque le plus à la direction de Corinna Niemeyer à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne : cette souplesse qui permet d’épouser au mieux la ligne de chant, de la mélodie et des tempos à ce point mouvants chez le compositeur stéphanois. Certes ici tout est tenu, tout est bien conduit et mené, mais souvent trop rigide, sans élans et dynamiques véritables. Pour exemple, dans l’acte I, les nombreuses pompes orchestrales se succèdent sans grand intérêt. Il faudrait pouvoir les relier davantage au discours musical et dramatique dans son ensemble. Ici et là cependant, des solos instrumentaux de premier ordre résonnent, comme le cor anglais sur le duo de l’acte II, ou la flûte placée en loggia lors de la présentation du Prince.

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Cendrillon dans la mise en scène de David Hermann
© Jean-Guy Python

Le reste des voix peine à nous convaincre absolument. Le Pandofle de Nicolas Cavallier et la Madame de la Haltière de Doris Lamprecht accusent chacun un vibrato très marqué qui efface souvent la ligne de chant. Cela va certes dans le sens du rôle très buffa de la mère de Cendrillon. Mais difficile d’être véritablement ému lors du si émouvant duo entre Cendrillon et son père de l’acte III, clin d’œil au « En fermant les yeux » de Des Grieux dans Manon.

Côté mise en scène, comme pour son Così fan tutte vu à Strasbourg, David Hermann semble ne pas assumer ses partis pris, autour d’une surcharge d’idées et d’une machine à jouer qui tourne rapidement à vide. La traversée de cette Cendrillon reste complexe, laborieuse voire franchement kitsch, notamment sur des passages vidéos trop illustratifs et plats. Illustrative aussi et lourde cette forme art nouveau, signifiant du conte, qui tombe et se lève des cintres comme un test de Rorschach disposé à l’opinion de chacun... Le jeu s’empêtre : lors de l’apparition du Prince charmant simulant une écoute de hard rock sur un solo de flûte, façon de nous surligner combien il est mal dans sa peau ; lorsque les fées et ses compagnons nous apparaissent en guenilles de clochards, discours social posé mais non exploité.

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Cendrillon dans la mise en scène de David Hermann
© Jean-Guy Python

On reste somme toute dans une mise en scène très conventionnelle, sans parti pris, jouant le conte en carton-pâte sans trop de risque, très proche de la Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle dans les années 1980, vidéo en plus. Quid d’une véritable réflexion par exemple autour de la jeunesse, qui fait pourtant le suc de cette adaptation de Cendrillon, et la rattache à Manon, où l’« adieu au grand fauteuil de l’enfance » que pleure l’une est le pendant de « la petite table » de l’autre : prise de conscience d’une jeunesse qui ne fait que passer.

Cette production date de 2019 et nous vient de Nancy. Puisqu’il ne s’agit ici que d’un accueil, n’aurait-on pu trouver chaussure de verre plus fine pour cette Cendrillon ? Gageons que la nouvelle direction de l’Opéra de Lausanne, en dehors de ses productions « maison », saura accueillir des productions de plus grande qualité.

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