Saint-François d'Assise mis en scène par Adel Abdessemed © Carole Parodi

Saint-François d’Assise, Messiaen oecuménique à Genève

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L’unique opéra de Messiaen, Saint-François d’Assise, fait son entrée au répertoire du Grand-Théâtre de Genève dans une production d’Adel Abdessemed en ce mois d’avril 2024. Dans l’esprit d’une œuvre qui défie la dramaturgie habituelle du répertoire lyrique, le plasticien conçoit une installation aux résonances œcuméniques, portée par l’incarnation du rôle-titre par Robin Adams.

Aviel Cahn n’est pas de ceux qui renoncent. En projet depuis sa nomination à la tête du Grand-Théâtre de Genève, la production de Saint-François d’Assise qu’il voulait confier à Adel Abdessemed a été confronté à la crise sanitaire. Mais il n’était pas question d’abandonner ce qui devait être la première en Suisse romande de l’unique opéra de Messiaen. C’est désormais chose faite en ce printemps 2024.

Saint-François d’Assise mis en scène par Adel Abdessemed © Carole Parodi

Dans la lignée des approches qui, au dispositif théâtral conventionnel, privilégient l’installation, à l’instar par exemple des Kabakov à la Ruhrtriennale en 2003, le plasticien franco-algérien jalonne l’ouvrage aux allures de voyage initiatique d’éléments scénographiques. Certains sont riches de symboles, comme les massifs boucliers de bronze gravés d’étoiles de David et d’ornementations d’inspirations orientalistes, qui servent d’écran à des projections vidéos diverses. D’autres cèdent davantage à des images naïves, telle l’immense colombe sur une montagne de galets – à moins que ce ne soit du guano – pour le tableau de L’Ange musicien, ou encore la nef vide d’une basilique aux couleurs d’ombres à l’heure des Stigmates. L’ensemble présente au moins le mérite d’émanciper le panthéisme de Saint-François de ses racines catholiques, qui sont aussi celles du compositeur, pour en faire résonner l’oecuménisme, avec des échos contemporains dans des costumes aussi laids que signifiants, bardés de déchets électroniques, signes de notre assujettissement matériel aujourd’hui. Le relatif statisme du spectacle, reléguant l’orchestre en fond de plateau sans tirer parti des potentialités de spatialisation de la partition, présente l’avantage de faire contraster, par un dépouillement-révélation, le passage vers l’au-delà.

Saint-François d’Assise mis en scène par Adel Abdessemed © Carole Parodi

D’aucuns pourraient en effet arguer que cette répartition atténue la présence des couleurs et des timbres instrumentaux, que le compositeur ne manque pas de faire chatoyer, en un épitomé de son génie singulier. Si une mise en avant de certains pupitres hors de la masse orchestrale, par exemple les percussions, aurait pu accentuer la dimension immersive de l’écriture de Messiaen, la complexité de cette dernière, au-delà de récurrences thématiques, imposait sans doute également des compromis pragmatiques. Et cette option ne dessert pas en fin de compte la direction de Jonathan Nott. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, le chef britannique adoucie le mordant de certains accents, évitant ainsi la saturation du Prêche aux oiseaux, et révèle la tendresse extatique des harmonies de L‘Ange musicien. De même, le Choeur du Grand-Théâtre, préparé par Mark Biggins qui fait son baptême du feu genevois, et augmenté des amateurs du Choeur Le Motet, se fond dans cette toile sonore mouvante en arrière-scène.

Saint-François d’Assise mis en scène par Adel Abdessemed © Carole Parodi

Surtout, cette pondération acoustique préserve les solistes, tous en prise de rôle, qui n’ont pas alors à forcer la déclamation. Des six frères qui entourent Saint-François, deux sont des membres du Jeune Ensemble du Grand-Théâtre – Omar Mancini et William Meinert, respectivement Elie et Bernard. Des quatre autres se distingue le Léon de Kartal Karagedik, qui ouvre le soirée, tandis que les interventions de Massée reviennent à Jason Bridges, celles de Sylvestre à Joé Bertili, et l’apparition de Ruffin à Anas Séguin. Ales Briscein calibre avec justesse les implorations du Lépreux. Claire de Sévigné séduit par son Ange à la fois diaphane et fruité, d’une innocence où la sensualité n’est pas forclose. Mais c’est indéniablement l’incarnation de Robin Adams dans le rôle-titre qui domine la soirée de sa présence continue. Avec une diction exemplaire – comme de manière générale l’ensemble du plateau vocal –, le baryton anglais confère une humanité immense au personnage, dans la moindre de ses inflexions, restituant ainsi une richesse inédite au personnage saint, dont le dépouillement spirituel se fait non pas négation mais célébration du vivant. En Saint-François, José van Dam, qui l’a chanté lors de la création en 1983, a trouvé non un double, mais un authentique successeur.

Gilles Charlassier

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