Angers Nantes Opéra présente la production choisie pour aller à la rencontre de ses futurs publics à travers son opération Opéra sur Écrans : un opéra retransmis en direct dans 24 lieux répartis dans les cinq départements des Pays de la Loire (ainsi qu'en Bretagne en vertu du partenariat à l'œuvre avec l'Opéra de Rennes). Et cette année, il s’agira de la production de Tosca par Silvia Paoli qui avait été créée à l’Opéra de Lorraine en 2022. La metteuse en scène livre une vision de l’œuvre à l’esthétisme brutal. Ses provocations (en particulier la sexualisation crue des religieuses), certes lourdes de sens, ne correspondent toutefois pas nécessairement à un public familial. Le plateau (signé Andrea Belli) d’un blanc uni n’est habillé que d’un échafaudage à l’acte I, d’une grande table à l’acte II, et d’un amas de squelettes à l’acte III : associée aux lumières de Fiammetta Baldiserri, cette scénographie permet de mettre en place des tableaux impressionnants (le chœur reproduisant La Crucifixion de l’apôtre André peinte par Mattia Preti, sise en l’église Sant'Andrea della Valle où se passe l’intrigue, corps humains transparaissant dans les tentures comme des fantômes hantant la demeure de Scarpia, corps sans vie de ce dernier attaqué par ses sbires, sortes de soldats nazis aux visages absents, ombres agissant comme des chiens de chasse), qui marquent profondément le public.

Izabela Matula brille de mille feux dans le rôle-titre. Par son jeu théâtral d’abord, par lequel passent les émotions de son amour enflammé, sa jalousie brûlante, sa détresse insondable puis son effroi face au meurtre qu’elle commet. Par ses phrasés subtils, aussi. Par sa voix, enfin, dont le taffetas doux et charnu recouvre l’ensemble de l’ambitus, des graves de pierre aux aigus nourris.

En Mario Cavaradossi, Samuele Simoncini dispose d’une voix épaisse, nourrie d’un long souffle, au bel aigu éclatant mais au médium engorgé (ce qui déstabilise parfois sa ligne et crée même des problèmes de justesse lorsque la fatigue s’y ajoute dans le duo final). Il détient en tout cas toute la fougue du jeune peintre amoureux et engagé. 

La metteuse en scène explique que sa version de l’œuvre pourrait s’appeler Scarpia. De fait, le personnage est montré comme un monstre absolu, libidineux et sadique. Cependant, la voix de Stefano Meo manque de noirceur pour incarner pleinement cette âme absolument mauvaise. Le timbre est mat et lisse, le vibrato léger. C'est finalement par son volume vocal et par son jeu d'acteur qu'il parvient à se rendre inquiétant, notamment dans la torture psychologique qu'il impose à Tosca. 

Marc Scoffoni campe avec humour et d’une voix brillante un Sacristain très droit dans ses bottes face à des enfants cabotins. En Cesare Angelotti, Jean-Vincent Blot dispose d’une voix sombre comme le cachot dont son personnage sort, résonnante comme l’église où il fuit, et large comme la liberté qu’il espère. Marc Larcher tient un rôle important en Spoletta, puisque c’est lui qui court-circuite le simulacre d’exécution en tirant sur Cavaradossi. Sa scansion est précise et son timbre clair comme un poignard. Pierrick Boisseau est un Sciarrone ici promu cardinal, à la voix ferme et bien émise. Hélène Lecourt interprète Le Pâtre depuis la fosse d’une voix longue et pincée. Enfin, Éric Vrain est un Geôlier guttural et manipulateur (il prend la récompense de Cavaradossi et lui propose d’écrire sa lettre d’adieu sans mettre à la disposition de ce dernier de quoi écrire, se moquant de lui ostensiblement).

À la tête de l’Orchestre National des Pays de la Loire, il faut quelques mesures à Clelia Cafiero pour entrer dans l’œuvre, les premiers accords évoquant Scarpia manquant d’impact. Mais dès l’entrée du Sacristain, elle trouve le ton léger et bondissant qui caractérise la première partie de l’acte, avant un impressionnant Te Deum bien mené par le Chœur d'Angers Nantes Opéra et la Maîtrise des Pays de la Loire. Puis, le pathétique de la suite est rendu d’un son dense et poignant, toujours paré d’une grande musicalité et de souplesse, le son du violoncelle creusant un abîme d’émotions. Très sollicitée par les phrasés très personnels du duo principal, elle parvient à recaler la fosse dans un travail permanent d’adaptation. Elle se montre également attentive quand le percussionniste, seul dans sa loge, voit son pupitre se déboiter quelques instants avant que ses cloches ne prennent tout l’espace sonore pour accompagner le Pâtre.

Le public accueille cette proposition avec enthousiasme, certains spectateurs applaudissant les artistes debout. Stefano Meo (Scarpia) se présente le regard noir et dur, jetant un froid, avant de déclencher les vivats d’un éclat de rire. Sans surprise, les trois femmes menant la production (mise en scène, direction musicale et rôle-titre) font monter l’applaudimètre. Après être passée par Nantes, la production se rendra à Rennes où elle sera captée (avec un autre duo de chanteurs principaux) pour l’opération Opéra sur Écrans.