Au retour de l’entracte, la clarté du décor est telle qu’elle arrache des exclamations de surprise à un public du Grand Théâtre d’Angers littéralement ébloui : le rideau vient de s’ouvrir sur les appartements de Scarpia au palais Farnese et le plateau est plus blanc que blanc. Seuls un crucifix sombre, une table, quelques chaises noires apportent du contraste, ainsi que des cardinaux tout de rouge vêtus que la metteuse en scène Silvia Paoli a ajoutés au repas du méchant de Tosca, manière de nous faire comprendre que celui-ci est plus qu’un simple « chef de la police » ; c’est un mauvais ange qui règne sans partage en son royaume, barbe et regard noirs au-dessus d’un costume noir et blanc.

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Tosca au Grand Théâtre d'Angers
© Bastien Capela / Angers Nantes Opéra

Silvia Paoli a choisi principalement ces deux couleurs extrêmes pour partager sa vision du drame vériste de Puccini et c’est une réussite. Cela pourrait passer pour une stylisation artificielle ou pour une façon de nous plonger dans un temps ancien impossible à dater ; c’est surtout la meilleure des manières de représenter le totalitarisme d’un monde sans nuances, et une belle idée pour montrer dès le début que le maître des couleurs, le peintre Mario Cavaradossi, complice du fugitif Angelotti, est condamné d’avance. Au premier acte, son échafaudage ressemble d’ailleurs à un théâtre dans le théâtre, où Floria Tosca et lui s’illusionnent dans une scène d’amour ; ce sentiment n’a pas sa place sous le règne de Scarpia, ce que viendra confirmer le dernier duo des amants, plombé par la présence d’un charnier à l’arrière-plan. Seul l’art parvient à colorer ce monde de quelques touches, par l’intermédiaire des robes de l’héroïne, cantatrice de profession, ou dans le somptueux tableau vivant qui accompagne le Te Deum en conclusion du premier acte, formidablement incarné par le Chœur d'Angers Nantes Opéra.

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Tosca au Grand Théâtre d'Angers
© Bastien Capela / Angers Nantes Opéra

La conception bicolore de Silvia Paoli s’accompagne de trouvailles fortes : lorsque les murs s’animent lors de la scène de torture, comme si les lieux étaient encore habités par les victimes passées de Scarpia, on est pris d’un frisson ; quant à la déambulation de ces mêmes fantômes au début du dernier acte, elle donne au prélude orchestral une puissance émotionnelle rare. Dommage dans ces conditions que la metteuse en scène en fasse de temps en temps un peu trop ; la gestuelle maniérée des chiens de garde de Scarpia annihile plus d’une fois l’effroi qui devrait être suscité et quelques détails dispersent l’attention du spectateur au lieu de concentrer le drame.

On n’aurait peut-être pas formulé ces réserves si le jeu d’acteur avait été au rendez-vous. Malheureusement, il a souvent pâti d’un vrai manque de naturel ce dimanche ; gageons qu’il gagnera en fluidité lors des représentations à venir, à Angers mais aussi Nantes et Rennes. Deux protagonistes tirent toutefois leur épingle du jeu : le rôle-titre est assumé par une Izabela Matula touchante, qui sait exprimer la jalousie sans jouer la pimbêche au premier acte et bascule dans un état de choc plus que crédible au moment du meurtre de Scarpia. La voix de la soprano est à cette image, le timbre riche en nuances, les aigus rayonnants, le phrasé soigné. Face à elle, le Scarpia de Stefano Meo est si juste dans sa cruauté froide que le chanteur récoltera des huées lors de son retour sur scène pour saluer – le baryton aura cependant marqué les esprits, en plus de son jeu, par sa voix d'acier, à la projection parfaitement dosée.

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Stefano Meo (Scarpia) et Izabela Matula (Tosca)
© Bastien Capela / Angers Nantes Opéra

Si le sacristain éloquent de Marc Scoffoni se distingue également, Samuele Simoncini passe un peu à côté du rôle de Cavaradossi. Le ténor a certes un vrai charisme et un coffre appréciable mais il en use et abuse plus que de raison, trompettant même dans les moments les plus tendres, surjouant des répliques anodines, avec des libertés rythmiques excessives. La caricature est d’autant moins nécessaire que l’Orchestre National des Pays de la Loire joue une réduction de la partition originale pour tenir dans la fosse étroite du Grand Théâtre angevin. Commandé pour l’occasion à Riccardo Burato, l’arrangement fait son office et donne à quelques passages une belle atmosphère intimiste, même si la légèreté des pupitres (dans les cordes notamment) peine régulièrement à produire les textures denses de l’orchestre puccinien.

Qu’à cela ne tienne : clarinette (Sabrina Moulai) et violoncelle solo (Paul Ben Soussan) en tête, les musiciens font preuve d’un engagement exemplaire sous la baguette attentive et rigoureuse de Clelia Cafiero, cheffe à la passion puccinienne contagieuse… Elle reviendra d’ailleurs diriger Turandot dans l’Ouest la saison prochaine.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par Angers Nantes Opéra.

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