La Scène, Opéra, Opéras

La modernité selon Cambreling

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Stuttgart. Opernhaus. 2-VI-2012. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Die glückliche Hand (La main heureuse). Leoš Janáček (1854-1928) : Osud, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Jossi Wieler, Sergio Morabito. Décor : Bert Neumann. Costumes : Nina von Mechow. Avec : Schoenberg : Shigeo Ishino (Un homme) ; Janáček : John Graham-Hall (Živný) ; Rebecca von Lipinski (Míla Válková) ; Rosalind Plowright (la mère de Míla) ; Heinz Göhrig (Suda)… Chœur de l’Opéra national de Stuttgart (chef des chœurs : Winfried Maczewski) ; Staatsorchester Stuttgart. Direction musicale : Sylvain Cambreling.

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Osud ? En cette période où Janáček, par bonheur, a enfin conquis les scènes d'Europe occidentale, où ses cinq opéras les plus célèbres enchaînent les nouvelles productions prestigieuses, il était bien naturel qu'on tente d'explorer les recoins de sa production.

Avec Les voyages de M. Brouček, récemment enregistré par Deutsche Grammophon, Osud est le second grand trou noir de son œuvre lyrique : après une production à Vienne en 2005, cet opéra composé juste après Jenůfa mais resté longtemps inédit revient sur la scène de l'Opéra de Stuttgart, où il avait déjà été monté en 1958, le lendemain de sa tardive création mondiale à Brno.

Depuis, cet opéra marginal aura trouvé de nombreux défenseurs – dont, avouons-le, nous ne sommes pas. Prenons le premier acte, situé dans la vie trépidante d'une ville d'eaux, et le dernier, qui se déroule dans un conservatoire au beau milieu de répétitions endiablées : on ne peut s'empêcher de penser à cette symphonie d'une grande ville qu'est L'affaire Makropoulos, mais cela ne fait que souligner les faiblesses d'Osud, où la frénésie du dialogue n'est pas exempte d'éléments anecdotiques superflus et sombre souvent dans la confusion. Seul parmi les dernières œuvres du compositeur, le livret d'Osud n'est pas tiré d'une source littéraire existante : Janáček s'inspire d'épisodes de la vie de son collègue , qui tira de son histoire un opéra créé en 1897, de la même manière que le héros d'Osud tente d'écrire un opéra sur son histoire où son double se nomme Lensky – souvenir de Pouchkine, mais aussi du nom du protagoniste de l'histoire initiale. Janáček semble ici s'être laissé déborder par les multiples pistes que lui offrait le réel, et son livret manque singulièrement d'un fil conducteur, que la musique ne parvient pas à lui donner : des échos aux chefs d'œuvre à venir, la partition n'en manque pas, mais les moments plus faibles abondent et la cohérence manque cruellement.

On ne saurait pourtant nier les efforts des deux metteurs en scène pour rendre viable et crédible : soulignant la distance temporelle entre les trois actes,

La distribution, outre des petits rôles peu favorisés par la partition, est dominée par , d'une très sûre musicalité, qui ne cherche pas à rendre son douteux héros plus sympathique qu'il n'est. On n'en dira pas autant de la Míla de , dont la voix manque de l'ampleur radieuse qui rapproche son rôle de Jenůfa, Katia ou Emilia Marty ; le rôle grandiloquent de la mère de Míla, celle qui par son opposition vaine aux amours de sa fille fait son propre malheur et sombre dans une folie à la fois suicidaire et meurtrière, bénéficie de la silhouette marquante de , qui ne parvient pourtant pas à sortir ce rôle de la caricature.

 

Le grand bonheur de la soirée se trouve donc en première partie : autre compositeur en perpétuelle redécouverte, Schoenberg a placé au centre de Die glückliche Hand une autre vie d'artiste, inspirée comme chez Janáček d'épisodes autobiographiques, mais présentée avec les moyens concentrés de l'expressionnisme allemand, qui fait ici fi de la narration et de la psychologie : en 18 minutes, tout est dit de l'échec d'un artiste dont même la souffrance n'est pas vraiment prise au sérieux. Rarement donnée en concert parce qu'elle nécessite un petit chœur et un soliste, l'œuvre est une des meilleures pièces pour orchestre en même temps qu'une des meilleures pièces scéniques – préférable à la plus célèbre Erwartung – de Schoenberg : , nouveau directeur musical de l'Opéra de Stuttgart et chef toujours passionnant, est un avocat idéal pour une musique cristalline riche d'une infinité de nuances sonores.

Pour ce diptyque autour de la figure de l'artiste condamné à l'échec, l'intendant , avec son complice accoutumé , n'a pas essayé de mettre en place un fil conducteur visuel : la première partie, largement en noir et blanc, joue avec les poses de l'expressionnisme allemand, mais en les détournant avec humour – Buster Keaton est ici la référence avouée. Le choix est pertinent, tant le public du XXIe siècle a besoin de cette distance avec le formalisme très peu théâtral prévu par Schoenberg dans un livret d'une précision insensée. Pour Osud, pour son action complexe et peu connue du public, les metteurs en scène ont opté pour une perspective plus traditionnelle soulignant le passage du temps entre chaque acte, le premier joué dans des costumes « d'époque », le dernier dans des costumes d'aujourd'hui : l'idée est habile ; on voit bien, en effet, comment ses étudiants du dernier acte voient les événements racontés dans l'opéra inachevé de leur professeur – ceux-là même que le spectateur a vus en direct au premier acte – comme venant d'un passé exotique et révolu. Doit-on avouer pourtant, après la reprise londonienne de leur magistrale Rusalka, une légère déception ? Sans doute cette production porte-t-elle la marque d'un savoir-faire rare, notamment pour la direction d'acteurs ; mais on n'y retrouve pas une même profondeur dans l'analyse dramaturgique qui est habituellement leur fort, mais qui est sans doute ici entravée par la platitude de l'œuvre proposée à leur sagacité.

Crédits photographiques : © A. T. Schaefer

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