C'était une première attendue : un grand Verdi ! A l'exception de La Traviata et de Falstaff, le maître de Busseto a été peu présent à Aix-en-Provence. C'est pourquoi ce Rigoletto (d'après Le roi s'amuse, de Victor Hugo) prend des allures de manifeste : le bicentenaire de la naissance de Verdi plutôt que celui de Wagner.
Un rire méchant qui finit dans des larmes de rage et de douleur : l'entrée du bouffon Rigoletto devant le rideau de scène paraphe, dès l'ouverture, la mise en scène de Robert Carsen. Expressionniste et distanciée. Tirée au centre d'une piste de cirque rouge, où le bossu machiavélique va jouer sa partie, perdre et boire jusqu'à la lie la coupe de sa propre malédiction. Il croira sauver sa fille Gilda du déshonneur en tuant le duc de Mantoue (son propre maître) qui l'a enlevée et l'a abusée ; il sera la cause de sa mort.
Robert Carsen n'était pas revenu à Aix depuis le milieu des années 1990. Son retour ne fraîchit pas le rêve laissé par Le Songe d'une nuit d'été, Orlando et sa merveilleuse Flûte enchantée de 1994. Passé le premier acte, ce Rigoletto met en place la mécanique de la vengeance.
COMBAT ÉROTIQUE
L'univers du cirque est admirablement dosé et étayé. Ainsi le fameux "Caro nome", que Gilda vocalise sur un trapèze dans une lévitation amoureuse et immatérielle – chanté comme un air de la folie –, qui préfigure la chute sacrificielle. La fin de Gilda est magnifique : la jeune fille meurt alors qu'une danseuse de corde dévisse et reste suspendue, nue, dans le vide, telle une poupée de chiffon.
Cruels, agressifs, les chœurs (excellent Estonian Philharmonic Chamber Choir) sont des cancrelats qui peuplent les gradins, public sans pitié venu assister à la mort. Quant à l'univers licencieux et folâtre du donjuanesque duc de Mantoue, Carsen n'a pas hésité à convoquer des seins et des fesses – notamment celles, musculeuses et rondes, du jeune ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz, partant par deux fois au combat érotique dans la tenue naturelle qui s'y prête le mieux.
La distribution, dominée par la stature tragique du baryton géorgien George Gagnidze, a révélé la belle Gilda de la soprano russe Irina Lungu, ainsi que la séduisante basse hongroise Gabor Bretz (le tueur à gages Sparafucile). Arturo Chacon-Cruz a montré dans "La donna e mobile" qu'il avait une belle réserve d'aigus.
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