Le “Rigoletto” de Verdi enchante Aix

Dans une mise en scène magistrale, Robert Carsen transpose “Rigoletto” dans le monde impitoyable du cirque. Une ouverture très réussie pour le festival d'Art lyrique d'Aix-en-Provence.

Par Gilles Macassar

Publié le 05 juillet 2013 à 11h57

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h02

«Avec un sujet pareil, on ne peut pas se tromper » s'enflammait Verdi, en découvrant Le Roi s'amuse, drame romantique de Victor Hugo qui allait donner naissance au livret de Rigoletto. Et Verdi ne s'est pas trompé, composant, en 1851, le premier des trois chefs d'œuvre de sa « trilogie populaire » - Rigoletto, Le Trouvère, La Traviata. Robert Carsen, lui non plus, ne s'est pas trompé de mise en scène, en transposant l'univers frelaté de la cour de Mantoue dans le monde impitoyable du cirque, piste aux étoiles et miroir aux alouettes. Enfin, Bernard Foccroule, directeur du festival d'Aix, peut d'ores et déjà se réjouir d'avoir réussi le coup d'envoi de cette édition 2013, avec un spectacle-phare, qui réédite le coup d'éclat de Traviata, ici même, il y a deux ans. Viva Verdi !

Mais pas seulement Verdi : viva Hugo et Shakespeare, aussi ! Avec Ian Burton, son fidèle dramaturge, Robert Carsen s'est abreuvé à ces deux sources de jouvence et d'inspiration du théâtre lyrique. Verdi l'avait noté : « Triboulet (le héros du Roi s'amuse) est une création digne de Shakespeare ». Fou du roi (ou plutôt du duc de Mantoue) le matin, père-gâteau cajolant sa fille unique le soir, Rigoletto, bouffon bossu, est un être double et contradictoire, comme les Romantiques les chérissent - voué au mal en public, dévoué au bien en privé.

Alors qu'il croit venger sa fille Gilda, bafouée par le Duc, en achetant les services d'un tueur à gages, c'est elle-même qui se livre au couteau du tueur, à la place de son amant infidèle. Au père, qui s'imaginait déjà justicier tout-puissant, de découvrir son forfait involontaire, et de rester à jamais une victime, cloué à son calvaire. Mi Roi Lear, mi Quasimodo. Dégaine de prolo sous un déguisement de pierrot clownesque, le baryton géorgien George Gagnidze a, pour ce rôle écrasant et formidable, les épaules aussi larges que la voix. Son Rigoletto est le premier triomphateur de ce spectacle puissant.

Quant à Robert Carsen, il a magistralement réussi son grand retour à Aix, où, du Songe d'une nuit d'été, de Britten, à la Semele de Haendel, il a prodigué les fantasmagories les plus enchanteresses. Son Rigoletto est de cette lignée. Magnifique idée d'avoir circonscrit le drame verdien à l'arène d'un cirque, avec sa loge royale, ses gradins et sa piste de sable où, dans les jeux antiques, les esclaves affrontaient les fauves. Le manège carnassier n'a pas changé. Au deuxième acte, Rigoletto affronte la meute des courtisans qui ont enlevé sa fille pour la livrer aux griffes du duc. Touffes de cheveux hirsutes sous le masque de plâtre et le sourire sanguinolent, le bouffon est à la fois Paillasse et le Christ au Golgotha. Dérisoire et sublime.

Grand admirateur du drame de Victor Hugo, le regretté Antoine Vitez y entendait « le grand rire métaphysique de la clownerie sur la condition humaine, sur la souffrance, sur la mort ». C'est ce même rire jaune et proche du sanglot que la mise en scène nous donne à entendre, tel un continuo compatissant. En harmonie avec le chef italien Gianandrea Noseda, Robert Carsen ne se contente pas d'écouter la musique de Verdi, d'en aspirer le message intime ; il ausculte le livret d'une oreille aussi attentive qu'encline au rêve, à l'affût des résonances imaginaires.

Assis au premier rang, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov, dont on reprend le Don Giovanni de Mozart intempestif, inauguré à grand fracas il y a trois ans, aura-t-il médité cette leçon, toute d'humilité et de perspicacité, et si contraire à sa propre démarche ? Réponse à Aix. 

Rigoletto, avec Irina Lungu, George Gagnidze, Arturo Chacun-Cruz, Estonian Philharmonic Chamber Choir, London Symphony Orchestra, dir. Gianandrea Noseda, mise en scène Robert Carsen, Théâtre de l'Archevêché, les 6, 9, 12, 16, 19, 21, 24 et 26 juillet, à 21h 30, le 14, à 22h.
En direct sur Radio Classique le 9, en direct sur Arte le 12 (réalisation François Roussillon) et sur Arteliveweb, à partir du 12 (en replay jusqu'au 31 octobre)

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