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Ariadne auf Naxos la tête en bas à Stuttgart

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Stuttgart. Opernhaus. 29-VI-2013. Richard Strauss (1864-1949) : Ariadne auf Naxos, opéra en un acte et un prologue sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : Jossi Wieler, Sergio Morabito. Décor et costumes : Anna Viebrock. Avec : Christiane Iven (Ariadne/Primadonna) ; Erin Caves (Bacchus/Tenor) ; Yuko Kakuta (Najade) ; Lindsay Ammann (Dryade) ; Maria Koryagova (Echo) ; Lenneke Ruiten (Zerbinetta) ; Karl-Friedrich Dürr (Musiklehrer) ; André Jung (Haushofmeister) ; Sophie Marilley (Komponist) ; Daniel Kluge (Tanzmeister) ; Ronan Collett (Harlekin)… Staatsorchester Stuttgart ; direction musicale : Michael Schønwandt.

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1912 : dans la petite salle du tout nouveau Théâtre Royal de Stuttgart, Strauss, Hofmannsthal et Max Reinhardt ne récoltent qu'un succès d'estime pour leur ambitieux projet autour du Bourgeois Gentilhomme, dont Ariane à Naxos forme l'épilogue.

1916 : à Vienne, l'œuvre rénovée et enrichie d'un prologue qui remplace la pièce de Molière débute sa carrière triomphale. 2001 : au Festival de Salzbourg, et créent une mise en scène d'apparence glacée, mais où palpite mieux que jamais la vie des personnages. 2012/2013 : tandis que le Festival de Salzbourg remonte une version soi-disant originale de l'œuvre avec une première partie qui parvient à ennuyer les spectateurs autant que celle de 1912, l'Opéra de Stuttgart propose une nouvelle production de la version de 1916 à quelques pas du lieu de la création de celle de 1912 – les bombardements alliés de la seconde guerre mondiale n'ont rien laissé de la petite salle, mais la grande, elle, est l'un des rares bâtiments du centre-ville à avoir été épargné.

Version de 1916 en effet, ou presque : les metteurs en scène ont choisi de jouer les deux parties de l'œuvre « dans l'ordre de leur création », l'opéra puis le prologue donc, ce qu'ils justifient par la volonté de recentrer l'attention du spectateur sur le propos central de Hofmannsthal, faisant de Zerbinette et d'Ariane les deux facettes indissociables de la femme, ce que la version habituelle, en mettant au premier plan le jeu du théâtre dans le théâtre et l'affrontement entre tragédie et farce, tend naturellement à gommer. L'argument est compréhensible et légitime, reste à le traduire en un spectacle cohérent.

La première partie justifie la démarche des deux metteurs en scène, plus même qu'un spectateur déjà aguerri à la version habituelle aurait pu le croire. Le décor d'Anna Viebrock, sans nul doute la plus grande décoratrice de théâtre d'aujourd'hui, reconstitue le foyer de la salle de la création de 1912, comme celui de 2001 avait joué avec celui du Großes Festspielhaus salzbourgeois où le spectacle avait lieu ; pourtant, les deux mises en scène comme les deux décors, malgré leurs auteurs identiques, sont extrêmement différentes. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de points communs : l'idée d'une fraternisation entre les deux femmes, par exemple, était déjà présente en 2001, et l'alcool y jouait un rôle similaire ; mais les termes de l'entente ne sont plus tout à fait les mêmes : ici, Ariane retrouve suffisamment d'envie de vivre pour faire littéralement la conquête d'un pleutre Bacchus sorti traumatisé des bras de Circé. On y perd sans doute une partie de la mélancolie du spectacle de 2001, où les matériaux froids de l'architecture 1960 dessinaient un monde hostile – alors que cette Ariane 2012 vit dans les formes élégantes de la Belle époque, où certes elle semble condamnée au début du spectacle aux supplices de l'attente – rien qui ne ressemble tant à une salle d'attente qu'un foyer de théâtre –, mais avec tout le confort moderne. Bacchus n'est pas ici un accomplissement, tout au plus une étape de plus dans les efforts d'une grande bourgeoise pour se désennuyer.

Même si on peut garder une préférence pour la mouture de 2001 (filmée, mais hélas jamais éditée en DVD), le spectacle est impeccablement mené par les deux metteurs en scène, et il a une force de conviction certaine, entre autres grâce aux efforts de l'héroïne principale, , qui s'empare sans hésiter de l'interprétation proposée, tout en surprenant le public par une voix inhabituellement sombre dans ce rôle : le résultat est séduisant, même s'il faut en passer par des aigus peu aisés. En Bacchus, fait forte impression : la comparaison avec Jonas Kaufmann à Salzbourg 2012 est certes impitoyable, mais Caves maîtrise sans peine la tessiture du rôle, n'est jamais à court de projection et réussit à animer son phrasé, ce qui est d'autant plus utile que la direction de , si elle fait preuve d'un sens du théâtre très respectable (avec un prologue vivant et équilibré), manque souvent de variété et de nuances. Sous les froufrous blancs de Zerbinette, se tire sans heurts des impératifs de virtuosité de son rôle, mais on aimerait une émission un peu plus libre et une présence un peu plus personnelle. Entre le quatuor masculin et le trio féminin qui complète la distribution, on préfèrera le premier : les trois nymphes sont en effet trop inégales pour convaincre, mais les compagnons de Zerbinette, eux, sont différenciés et efficaces, même si on a vu Harlekin plus chaleureux que ce soir.

Reste la question du prologue, donné sans pause après la fin de l'opéra. Le texte de Hofmannsthal livre, malgré une juste description des ravages du mécénat, une vision finalement rose du monde du théâtre ; cette vision, les deux metteurs en scène la démontent sans pitié – en commençant par le décor, simplement retourné en un tournemain par les machinistes. Pendant tout le début du prologue, les interprètes de l'opéra doivent apporter les chaises destinées à accueillir le public d'une représentation donnée par le mécène, dont la richesse proclamée fait rire – jaune – ceux qui travaillent pour lui : même les stars de l'opéra ne seront jamais que des prolétaires pour les riches qu'ils divertissent. Le bonheur n'est pas plus sur que derrière la scène : si le compositeur de Sophie Marilley reste trop pâle, Zerbinetta n'est pas l'être de lumière (même incertaine) qu'on voit habituellement, mais une fille un peu paumée et visiblement en manque ; même le majordome, admirablement joué comme en 2001 par André Jung, n'a que l'assurance que lui donne sa fonction.

Le spectacle, sans aucun doute, fonctionne ; est-ce à dire qu'à la fin de la représentation on soit entièrement convaincu par ce choix étonnant ? Pas vraiment, et si chacune des parties a de grandes qualités, on ne peut pas dire que le dépaysement par rapport aux versions habituelles suffise totalement à justifier les entorses à la logique qu'on ne peut s'empêcher de constater. L'expérience n'est pas sans intérêt, sans doute, mais elle ne trouvera guère d'émules.

Crédit photographique : © A. T. Schaefer

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