Journal

Le Prisonnier et Le Château de Barbe-Bleue au Théâtre du Capitole mis en scène par Aurélien Bory – Fascinante étrangeté – Compte-rendu

Des lieux d’enfermement, lugubres. Des portes qui s’ouvrent sur la mort. Une tension constante, aux marges de la terreur. Entre Le Château de Barbe-Bleue de Bartók et Le Prisonnier de Dallapiccola, il existe bien des ressemblances, même si, composés à quelque trente ans de distance, leur modernité présente de notables différences. Leur rapprochement se révèle d’autant plus passionnant, surtout lorsque, comme c’est le cas pour cette nouvelle production du Théâtre du Capitole, tout concourt à leur restituer une fascinante étrangeté.
 

Levent Barkici dans Le Prisonnier © Patrice Nin

Dès les premières mesures du Prisonnier, Tito Ceccherini trouve le juste équilibre, qui saura éviter les contrastes trop accusés, les couleurs trop violentes mais également les baisses de tension. Sa direction d’orchestre s’impose par sa rigueur et sa retenue autant que par son savant lyrisme. On le sent constamment à l’écoute des chanteurs, qu’il sait ne jamais mettre en péril dans les passages les plus tendus. Il dispose, il est vrai, d’interprètes de tout premier niveau. Pour l’opéra de Luigi Dallapiccola, Levent Bakirci incarne un prisonnier d’une rare présence dramatique. C’est par un jeu habile de nuances et une parfaite tenue vocale, qu’il exprime la détresse et les vaines illusions de celui qui, jusqu’au seuil de la mort, rêve d’une liberté improbable. Face à lui, Gilles Ragon suggère avec tout le raffinement voulu la trompeuse fraternité du geôlier, tandis que, dans le rôle de la mère, Tanja Ariane Baumgartner impose d’emblée une voix prenante, où la violence des sentiments s’accompagne d’une poignante émotion.
Ses qualités, nous les retrouvons, plus manifestes encore, dans le rôle de Judith, dont elle donne ensuite une interprétation remarquable. Mezzo aux belles couleurs charnelles et au registre aigu fort solide, elle répond idéalement aux exigences de l’opéra de Bartók. Dans un même esprit, Balint Szabó est un Barbe-Bleue de grande allure, jamais caricatural, jamais outrancier. Son incontestable autorité vocale lui permet d’exprimer une gamme très large de sentiments, avec en définitive plus de lassitude et de résignation que de cruauté véritable.
 
Si, musicalement, cette représentation nous apparaît irréprochable, sa mise en scène mérite tout autant d’éloges. Remarqué depuis une dizaine d’années par son approche d’un théâtre inventif, souvent ludique et à la rigueur toute scientifique (Plan B, Plus ou moins l’infini, sans objet, Azimut…), Aurélien Bory fait avec cette première incursion dans le grand répertoire lyrique un pas de plus dans le sens de l’épure visuelle et de l’efficacité scénique.
Pour le premier ouvrage, qui repose sur les oppositions continuelles de la lumière et des ombres, il bénéficie de la collaboration d’un artiste plasticien, Vincent Fortemps, dont les dessins, exécutés en direct et projetés sur différents niveaux de rideaux, recréent autour des personnages tout un environnement d’illusions mouvantes, entre réel fantasmé et suggestions informelles.
Aux graphismes obsessionnels de la prison répondent les sévères architectures du château. Là encore l’abstraction est de règle. Un système ingénieux de grandes arches, qui s’encastrent les unes dans les autres ou qui pivotent sous des angles variables autour d’un axe central, exprime tour à tour la claustration et l’ouverture des portes. Qu’ils soient rouges, dorés, verts ou bleus, violents ou blafards, les éclairages (réglés par Arno Veyrat) évoquent les émerveillements autant que les angoisses d’un monde secret, intime, sans soleil et sans issue.
Les sobres et élégants costumes conçus par Sylvie Marcucci ainsi qu’une direction d’acteurs d’une constante précision ajoutent encore au fini de cette production. Est-il nécessaire de préciser que cette scénographie réalisée par Aurélien Bory, avec le concours de Pierre Dequivre, reste toujours en parfait accord avec ce que les musiques de Bartók et de Dallapiccola peuvent porter en elles d’intelligence et de trouble, de rutilance et d’âpreté ? Chaque moment de ce spectacle nous en apporte la preuve.
 
Pierre Cadars

logo signature article

 
Dallapiccola : Le Prisonnier / Bartók : Le Château de Barbe-Bleue – Toulouse, Théâtre du Capitole, 4 octobre, prochaines représentations les 6, 9 et 11 octobre 2015 / www.theatreducapitole.fr
 
 Photo © Patrice Nin

Partager par emailImprimer

Derniers articles