Opéra fort peu connu d’un compositeur pourtant en vogue en son temps Les Caprices de Marianne d'Henri Sauguet est composé en 1954 sur une adaptation d’une pièce d’Alfred de Musset (1833). Comme l’ensemble du répertoire de ce compositeur français, il connaît un regain d’intérêt suite aux événements organisés en 2001 pour le centenaire de la naissance du musicien.

La mise en scène d'Oriol Tomas fait le choix d’un décor statique faisant appel à une des realia napolitaines les plus célèbres : la Galleria Umberto I construite sur le même modèle que la Galleria Vittorio Emanuele II de Milan. La métamorphose du paysage est rendue possible grâce à l’entremise des lumières qui apportent pour chaque scène une configuration différente, suivant la richesse picturale de la musique. On passe ainsi du bleu discret de la nuit à l’orange et au rouge carminé du soleil brûlant de Naples. Les costumes de Laurence Mongeau ne recherchent pas une homogénéité de type historique mais mettent l’accent, de façon fort réussie, sur le degré d’austérité ou d’extraversion de chaque caractère. Ainsi l’exubérant et causant Octave (Marc Scoffoni) du premier acte porte la veste à strass et paillettes alors que le replié Coelio (François Rougier) affiche un costume discret et sobre.

Sans ouverture, un levé de rideau dès la première note posée par la main habile de Claude Schnitzler nous plonge in media res dans le cœur de l’intrigue. La sérénade brillante et nonchalante d’un des badauds (Tiago Matos) sous la fenêtre de Marianne (Aurélie Fargues) établit l'échiquier des sentiments non réciproques au cœur de la pièce. La beauté et l’originalité de la pièce de Musset, que la musique d’Henri Sauguet a respectées, est de ne pas avoir voulu traiter ce thème sous le seul angle comique ou le seul angle tragique. Réunissant les deux, les personnages n’en sont que plus humains, et les lenteurs reprochées lors de la création de l’œuvre sont balayées par la mise en scène et le jeu d’un plateau de jeunes artistes, méconnus des planches du Capitole, mais à l’avenir sans nul doute promis à une carrière éclantante. Tous semblent investis au maximum de leur rôle autant vocal que scénique. Les ressorts comiques propres aux mimiques de certains personnages comme Tibia (Carl Ghazarossian), l’Aubergiste (Xin Wang) ou la Duègne (le travesti Julien Bréan), qui provoquent des fous-rires chez certains spectateurs, sont soutenus à chaque instant par la musique.

La paranoïa justifiée du mari Claudio (Norman Patzke), renforcée par le commérage de Tibia son valet, n’atteint jamais une méchanceté exacerbée tant elle est pataude. À l’inverse, les envolées lyriques de Coelio, dévoré de l’intérieur par son romantisme et son amour austère et inavouable, tendent parfois vers le ridicule. Seul l’objet de sa fièvre, Marianne, apparaît comme un personnage entier et sans concessions, tour à tour naïve et pimbêche. Etirant fortement la tessiture de soprano, la partition multiplie les sauts de grands intervalles, ne ménageant pas l’interprète. Celle-ci affiche pourtant une facilité et homogénéité déconcertantes, magnifiant le chant des clochettes du début ou donnant sans difficulté dans le fortissimo quand survient la colère.

Octave, le trublion ami de Coelio, entremetteur pour lui auprès de Marianne, évolue tout au long de la pièce, de sa première apparition rutilante, à moitié ivre lors du Carnaval rythmiquement accentué lourdement par l’orchestre, à son inquiétude finale, les cheveux grisonnants, lorsqu’il cherche désespérément son ami qu’on sait assassiné. La performance vocale des deux amis, Coelio et Octave semble s’inverser tout au long de la pièce. La voix du premier, initialement timide, gagne en amplitude et en mysticisme au fur et à mesure qu’il se rapproche de sa mort. Son destin, quasi atavique, qu’il connait inconsciemment depuis le récit de sa mère Hermia (Julie Robard-Gendre), lui arrache un dernier cri après un solo aux phrases ascendantes et descendantes. Au contraire, le trépidant Octave du Carnaval cède la place à la nostalgie et à la culpabilité, même s’il reste fidèle à l’amitié jusqu’à la toute fin : « Je ne vous aime pas Marianne. C’était Coelio qui vous aimait ! » Sous les cendres et le Vésuve en feu, l’amitié semble triompher des turpitudes de l’amour, et ce par-delà la mort.

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