Une nuit à l’opéra, version Buñuel
Le film "L’Ange exterminateur" à l’épreuve de la scène et de l’écriture lyrique.
- Publié le 03-08-2016 à 07h28
- Mis à jour le 03-08-2016 à 07h30
Né en 1971, le compositeur Thomas Adès est un des plus joués de ses contemporains, sans doute par sa capacité à intégrer dans son langage musical ce qu’il faut de réminiscences de l’histoire de la musique sans jamais paraître passéiste. Et s’il s’économise à l’opéra - un ouvrage tous les dix ans environ -, chacune de ses apparitions y fait l’événement : il y eut d’abord en 1995 "Powder Her Face" (donné la saison passée à la Monnaie) et son sujet scandaleux, puis, en 2004, une brillante adaptation de "La Tempête" de Shakespeare reprise sur plusieurs scènes internationales.
Il n’est toutefois pas sûr que son nouvel opus lyrique, "The Exterminating Angel", soit promis à la même postérité.
L’œuvre, pourtant, est une nouvelle réussite. Par le choix de son sujet, d’abord : une adaptation très fidèle (plusieurs scènes et répliques sont reprises à l’identique, jusque dans leurs répétitions) de "L’Ange exterminateur", un des films majeurs de Luis Buñuel, qui y avait mêlé son goût du surréalisme et son sens de la critique sociale. Mais aussi par sa partition virtuose et brillantissime dans son métier.
Sentiment de familiarité
Tout au long des deux heures de l’œuvre, on a un étrange sentiment de familiarité à l’égard d’une musique que l’on découvre pourtant pour la première fois.
Moins systématiquement percussif que nombre de ses contemporains, Adès concentre sur certains moments clés les passages plus bruitistes (évocation d’une fusillade dans l’interlude qui sépare les deux premiers actes, usage des cloches au début et à la fin) et joue, pour le reste, de la séduction d’un coussin de cordes graves et de la lumière des vents.
Il écrit très bien pour les voix, réservant à la plupart des solistes une sorte de court aria de caractérisation et laissant même, surtout aux voix féminines, des pages de virtuosité. S’y ajoutent des moments diaphanes où l’orchestre se tait comme pour alléger la tension (scènes avec piano ou même avec guitare), l’usage d’une électronique qui rattache parfois la musique à certaines grandes fresques rock et, last but not least, l’envoûtante sonorité céleste des Ondes Martenot, chères à Messiaen. Et si les deux premiers actes mettent un peu de temps à démarrer, le troisième est soufflant.
Une belle brochette de solistes
Sans doute eût-il été possible d’aller plus loin dans la caractérisation musicale des personnages, mais il y en a tant ! Et c’est bien là le problème : avec quinze premiers rôles et une demi-douzaine de seconds, "The Angel Exterminator" entre dans la catégorie des opéras coûteux à distribuer et, donc, à représenter.
Mise en scène par le librettiste Tom Cairns, la production salzbourgeoise (qui sera reprise au Covent Garden, au Met et à l’Opéra de Copenhague, tous coproducteurs) restera donc pour un certain temps la seule. Elle est, ici, joliment servie par Adès lui-même (qui dirige l’Orchestre de la Radio autrichienne) et une belle brochette de solistes parmi lesquels Anne-Sofie Von Otter, John Tomlinson, Thomas Allen, Charles Workman, Iestyn Davies, Amanda Echalaz, Frédéric Antoun ou Christine Rice.
Naufrage mondain
Avant même "Belle de jour" ou "Le Charme discret de la bourgeoisie", "L’Ange exterminateur" voit Luis Buñuel (1900-1983) railler avec talent les travers de la haute société. Dans ce film tourné au Mexique en 1962 (le cinéaste avait dû s’exiler pour échapper à la censure franquiste), il campe un improbable huis-clos qui finira en naufrage.
A l’issue d’une soirée à l’opéra, un couple donne un dîner mondain dans son hôtel particulier. La plupart des domestiques ont fui, on croise des moutons et un ours dans les cuisines et, très vite, on comprend que la vingtaine d’invités, tous archétypes d’une société privilégiée, est prisonnière : une force invisible et non dite les force à rester ensemble, à passer la nuit dans le salon, à se laisser aller peu à peu entre libération des pulsions, déliquescence physique et même violence.
Les survivants finiront, le lendemain, par retrouver la liberté, sans qu’aucune explication rationnelle n’ait été donnée à leur aventure. Et sans que le fameux ange (qui est-il ?) soit apparu.
Salzburg, Haus für Mozart, les 5 et 8 août; www.salzburgfestival.at A Londres, Covent Garden, du 24 avril au 8 mai 2017.