Longtemps l’un des opéras français les plus joués au monde avec Faust et Carmen, Samson et Dalila faisait son retour sur la scène de l’Opéra de Paris après 25 ans d’absence. L’entrée en matière brutale et moderne nous plonge dans un univers sans pitié où les Hébreux sont persécutés par les Philistins et où Samson semble seul contre tous.

Ce qui frappe dès le début de l’opéra au niveau de la mise en scène est l’opposition entre un homme seul – Samson – et un groupe faisant corps – les Hébreux. Une opposition que l’on retrouve au troisième acte de façon violente et presque perverse, les Philistins raillant et maltraitant Samson devenu aveugle. Cette dichotomie entre l’individualité et le groupe se retrouve également à plusieurs reprises entre Dalila et les autres Philistins dont elle ne semble pas partager la joie lors de la Bacchanale. Un choix du metteur en scène Damiano Michieletto qui nous interroge sur notre liberté individuelle. Celui-ci introduit également quelques modifications par rapport au livret : dans le livret Dalila est uniquement assoiffée de vengeance ; ici elle semble amoureuse de Samson et regrette sa trahison à l’acte III avant de précipiter sa fin en s’immolant par le feu. Une analyse psychologique moins monolithique et somme toute plus proche de la réalité mais qui s’éloigne du mythe de la femme fatale. Par ailleurs le Grand Prêtre de Dagon devient l’amant de Dalila et Samson coupe de lui-même ses cheveux pour les offrir à cette femme. Des entorses au livret qui laissent perplexe.

La mise en scène surprend également par son côté moderne et brutal : les costumes sont du XX° siècle, les scènes de violence du premier acte quasi insoutenables et le sexe est latent dans la façon dont les hommes interagissent avec les femmes, des menaces d’exécution de l’acte I à la Bacchanale du dernier acte. Si ce choix est compréhensible, sa mise en application aurait vraiment gagné à être plus subtile et fine. Nul besoin de répéter plusieurs fois ces menaces d’exécution, ni d’insister autant sur le sex appeal de Dalila. Dieu est par ailleurs le grand absent de ce drame biblique. 

Le décor est quant à lui plutôt sommaire – un cube symbolisant la chambre de Dalila à l’acte II puis le palais du Grand Prêtre. Les costumes ne sont pas très seyants et Samson aurait gagné à moins ressembler à un ouvrier débraillé. Ceux du dernier acte sont trop bariolés pour rappeler réellement les grandes fêtes antiques.

Cette nouvelle création brille plutôt par les chants et la musique, sous la direction d’un Philippe Jordan à la direction douce et ample, nerveuse quand l’action le demande. Il pare la musique d’une beauté et d’une couleur particulière qui marquent durablement les esprits. Le chœur émerveille dès la première scène proche de l’oratorio. 

Sur le plateau, Anita Rachvelishvili (Dalila) marque la soirée par sa colorature et son jeu. Sa voix est ample, ses graves sonores, ses aigus soutenus. Capable de jouer tour à tour une femme manipulatrice, amoureuse et déterminée, elle réussit brillamment les trois grands airs et son duo avec Samson se révèle de toute beauté. Aleksandrs Antonenko interprète un Samson déterminé qui fend cependant l’armure face à Dalila, allant jusqu’à lui révéler le secret de sa force divine et lui offrir ses cheveux. Si sa voix est solide, elle n’est cependant pas toujours audible. L’air de la meule du troisième acte reste particulièrement poignant. Egils Silins livre un Grand Prêtre à la fois lubrique, autoritaire et violent tandis que les seconds rôles sont dominés par Nicolas Cavallier qui interprète un vieillard hébreux d’une grande dignité et dont la voix de basse se révèle solide et profonde.

Cette nouvelle production en faisant le choix d’une modernité parfois triviale et brutale déçoit quelque peu malgré la grande qualité du plateau vocal et musical.

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