Le metteur en scène Robert Carsen qui a signé et signe encore des dizaines de productions lyriques, compte plusieurs spectacles d’anthologie à son actif. On citera en particulier Le Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten, dont chaque reprise est un ravissement pour les néophytes et une merveilleuse confirmation pour les autres…

Sans atteindre la pure poésie du Songe, la vision « carsénienne » des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach (présentée pour la premières fois à la Bastille en 2000) impose toujours sa parfaite cohérence – chacun des actes se déroule dans un lieu différent d’un théâtre, de la salle à la fosse d’orchestre, en passant bien entendu par la scène – et son imparable vivacité.

Décors et éclairages portent la griffe élégante et brillante du metteur en scène canadien qui offre au public une grisante traversée du miroir. Sans les dévoiler trop avant, on dira que certains « effets spéciaux » conservent leur efficacité intacte, qu’il s’agisse de suggérer le balancement enivrant de la lagune vénitienne où de dédoubler jusqu’au vertige la présence des instrumentistes de l’orchestre…

À noter que le « vrai » orchestre de l’Opéra de Paris joue à merveille – on se délecte de tous les solos – sous la direction très dramatique de Philippe Jordan. Si le chef ne parvient pas toujours à contrôler quelques décalages avec la scène (les chœurs notamment), il s’investit pleinement dans cette partition fantasque, oscillant de la farce à la douleur et de l’intime au fastueux.

Antonia, fragile et forte comme un roseau…

Même si le jeu d’acteurs ne met pas tous les protagonistes à leur avantage, notamment le ténor Ramon Vargas qui reprend plutôt vaillamment le rôle-titre en lieu et place de Jonas Kaufmann souffrant, la veine comique de l’œuvre explose quand le malheureux Hoffmann s’éprend de la poupée Olympia, dont l’emballement nymphomaniaque provoque l’hilarité de maints spectateurs. Tandis que l’ombre du tragique plane sur les malheurs d’Antonia, cœur aimant et voix d’or, que la mort fauchera si elle ne renonce pas à son art…

C’est la soprano albanaise Ermonela Jaho qui incarne la cantatrice maudite et, une fois encore, le public lyrique fond littéralement pour cette artiste hypersensible qui, en un regard, un mouvement de bras et un soupir, fait exister son personnage avec une incroyable intensité.

Ermonela Jaho possède les qualités que l’on aime et les fragilités que l’on adore : des aigus radieux déchirant le très léger voile de son timbre singulier, un engagement sans limites, un sens des nuances qui colore et infléchit en permanence sa ligne vocale, souple comme le roseau de la fable…

La soprano ne s’en cache pas : pour elle, vivre et chanter ne font qu’un. Elle donne tout sur scène, cherche (et parvient) à toucher chaque auditeur au plus intime de ses sensations et de ses sentiments. Cette foi absolue dans le pouvoir de la musique est ici démultipliée puisque Antonia est elle-même une musicienne qui ne peut renoncer à sa passion. Même par amour, même au seuil du la mort.

Jusqu’au 27 novembre. Rens. 08.92.89.90.90 et operadeparis.fr

Retransmission dans les cinémas du réseau « Viva l’Opéra » le 15 novembre puis disponible sur la plateforme Culturebox à partir du 16 novembre.