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Grandes voix et scénographie monacale

Paris
Opéra Bastille
11/30/2016 -  et 3*, 6, 9, 12, 15, 18, 20, 23 décembre 2016
Pietro Mascagni : Cavalleria rusticana
Elīna Garanca*/Elena Zhidkova (Santuzza), Yonghoon Lee*/Marco Berti (Turiddu), Elena Zaremba (Lucia), Vitaliy Bilyy (Alfio), Antoinette Dennefeld (Lola)
Paul Hindemith : Sancta Susanna, opus 21
Anna Caterina Antonacci (Susanna), Renée Morloc (Klementia), Sylvie Brunet-Grupposo (Alte Nonne), Katharina Crespo (Die Magd), Jeff Esperanza (Ein Knecht)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Carlo Rizzi (direction musicale)
Mario Martone (mise en scène), Sergio Tramonti (décors), Ursula Patzak (costumes), Pasquale Mari (lumières), Raffaella Giordano (chorégraphie)


E. Garanca (© Julien Benhamou/Opéra national de Paris)


Fraîchement accueillie à sa création en 2012, la mise en scène de Giancarlo del Monaco fit pourtant des émules: Mario Martone a décidé lui aussi «d’éliminer tout le folklore sicilien» de Cavalleria. Aux éboulis de marbre blanc se substitue désormais une scène Bastille dont l’absence de décor, conjointement à un éclairage cru, confère une aura lumineuse aux personnages. Las, empruntée quand elle ne renoue pas avec une gestuelle qu’on croyait définitivement remisée aux vestiaires, la direction d’acteur ne mérite pas une telle mise en valeur. Un jeu de chaises permet au chœur disposé en rang d’oignons de suivre la messe en tournant le dos au public après la prière du Regina coeli laetare.


Cette ouverture de la scène aux quatre vents ne facilite guère la projection dans ce grand vaisseau qu’est Bastille. Aussi l’échelle dynamique perd-elle quelques degrés. Mais la direction d’orfèvre du chef conjure tout risque d’écrasement des parties vocales. A l’opposé de l’arsenal vériste déployé complaisamment par Daniel Oren, Carlo Rizzi s’attache à gommer toute les lourdeurs d’orchestration, ménage le fondu des pupitres... quitte à manquer de feu dramatique. Le trouvera-t-on chez les chanteurs? A la vérité, ces derniers ont semblé inhibés par une mise en scène peu préoccupée par le mouvement et la confrontation des corps (le duo entre Santuzza et Turiddu manque terriblement d’impact): piètre acteur, Yonghoon Lee, à défaut de descendre en-deçà du mezzo-forte, peut compter sur un organe puissant et un timbre flatteur. Une même impression d’uniformité de l’expression se retrouve chez sa partenaire Elīna Garanca, dont la Santuzza constitue une prise de rôle. Son arrogance dans l’émission comme sa capacité à remplir la salle met naturellement le public à genoux, mais une artiste de son rang pourrait offrir une prestation plus nuancée. Excellente surprise que Vitaliy Bilyy, qui impose un Alfio complexe et presque attachant.



A. C. Antonacci (© Elisa Haberer/Opéra national de Paris)


Si elle nous dispense du sempiternel couplage avec Paillasse, l’idée de faire suivre Cavalleria de l’opéra en un acte de Paul Hindemith peine à se justifier eu égard aux univers respectifs des deux œuvres qu’un crucifix monumental ne saurait suffire à unir. Sancta Susanna (1921) s’inscrit dans la mouvance expressionniste envers laquelle le compositeur se montrera, dans ses dernières années, peu amène. L’œuvre fascine aujourd’hui par son propos subversif (succombant aux assauts du désir, une nonne presse son corps nu contre un crucifix) et sa position intermédiaire entre Salomé (1905) de Strauss et Les Diables de Loudun (1969) de Penderecki. Créé en 1922, deux ans avant Erwartung (composé rappelons-le en 1909), Sancta Susanna partage en outre avec le brûlot schoenbergien sa durée ramassée atteignant la densité d’un précipité chimique, son ambiance poisseuse et quelques traits d’écriture (ah, les perles du célesta dès qu’apparaît la lune!).


Mario Martone, plus inspiré que chez Mascagni, puise quelques accessoires dans la boutique psychanalytique afin d’expliciter l’émoi de la protagoniste. Ainsi de l’énorme araignée déposant une femme nue quand Klementia (impressionnante Renée Morloc) raconte l’histoire de sœur Beata, emmurée vivante pour avoir succombé à la tentation charnelle avec le Christ. Pour ce qui est de l’investissement de l’espace, la béance de Cavalleria laisse place à un immense bloc de granit abritant une alvéole: la cellule de Susanna, sinistrement éclairée par une lucarne. Anna Caterina Antonacci compose un personnage ambigu, d’une présence ignée, dont la passion s’accompagne de toute la sensualité requise (la mezzo découvre sa poitrine). Hélas, les extases qui devraient couronner ce parcours psychologique et émotionnel se perdent un peu dans le vide après que la chanteuse a quitté l’intimité de sa chambre pour l’appel des souterrains. La baguette de Carlo Rizzi rend justice à l’écriture toute en finesse d’Hindemith, malgré l’importance des forces en présence. Les musiciens (clarinette solo, xylophone notamment) y rivalisent de virtuosité.



Jérémie Bigorie

 

 

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