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Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées - Divers degrés d'urgence - Compte-rendu

Stéphane Braunschweig et Jérémie Rhorer à la tête de son Cercle de l'Harmonie reviennent en tandem au théâtre des Champs-Elysées pour une reprise du Don Giovanni qu'ils y avaient monté en 2013.
 
Le metteur en scène n'y fait pas dans la dentelle sévillane du 18ème siècle, mais plutôt dans les costumes sombres et chemises blanches ou blazers et jeans moulants. Tout commence par la fin ; le libertin des temps moderne gît sur son brancard, prêt à être incinéré et – flashback ou rêve hallucinatoire – Leporello revit la folle journée qui, à l'image de toute une vie, a vu son maître courir irrépressiblement à sa mort. Don Giovanni aura bel et bien cramé la vie par les deux bouts et le lieto fine, en fait assez peu lieto, nous convainc s'il le fallait encore qu'il aura aussi jeté un voile de deuil sur tous ceux qu'il aura approchés.

© Vincent Pontet
 
La mort, toujours la mort, omniprésente, mais il ne s'agit ni de la grande faucheuse ni du jugement dernier, assez peu de métaphysique ici, mais d'une ivresse autodestructrice. Une à une, les cloisons du décor tournant, noir et blanc toujours, se rabattent comme se tourneraient inexorablement les pages du très spécial livre d'heures rythmant la vie du dissoluto punito, flambeur, jouisseur, trousseur et sniffeur, insatiable et inconséquent. La mise en scène acérée se garde néanmoins de toute glaciation chirurgicale. Elle ne sacrifie en rien la vis comica du livret et, bien au contraire, s'en nourrit abondamment dans une forme de contrepoint dramatique, braquant la lumière sur l'essentiel et créant un sentiment d'urgence permanente.
Las, étonnant et très frustrant décalage, on ne retrouve pas ladite urgence dans la fosse avec Jérémie Rhorer qu'on a connu plus vif, tellement plus vif même. Le ton est assez cérémonieux, les couleurs déconcertantes d'uniformité et les numéros s'enchaînent souvent sans les contrastes ou ruptures attendus. "Deh vieni alla finestra" ... pas sûr qu'on ait envie de venir à le fenêtre comme ça, non. N'en jetons plus. Quand on pense à la version que Teodor Currentzis vient de sortir au disque (Sony Classical), on se dit qu'il y a pourtant de quoi faire pour donner vie et surtout infiniment plus de relief à ces pages !

© Vincent Pontet
 
Ce que ces deux propositions ont en commun en revanche, c'est Myrtò Papatanasiu dans le rôle de Donna Anna ; elle est d'ailleurs plus convaincante sur scène, authentiquement blessée. Habituée du rôle, elle confirme une fois de plus son indéniable savoir faire mozartien malgré des aigus décidément très minces. Le contraste est fort avec la voix très corsée de Julie Boulianne en Donna Elvira qui nous effraye avec beaucoup d'éclats de voix tonitruants. Anna Grevelius est en revanche une parfaite et pimpante Zerlina, jouant et chantant avec infiniment d'esprit, et menant à la baguette son Masetto incarné avec une jolie pointe d'humour par Marc Scoffoni. Colère et désolation de bon aloi pour le Don Ottavio de Julien Behr, chant et timbre toujours aussi séduisants et châtiés mais un peu en délicatesse dans son premier air et plombé dans le deuxième par l'alla breve battu à quatre interminables temps, ce qui permet de vérifier sa longueur de souffle mais on n'était pas venu pour ça ! Steven Humes était déjà le Commandeur en 2013, il en a assurément la présence.

 © Vincent Pontet

Avec Robert Gleadow, on retrouve également le même Leporello qu'en 2013. Il a malencontreusement et très nettement laissé quelques aigus dans sa loge, pour l'air du catalogue notamment, mais on serait tenté de ne pas lui en tenir rigueur tant il est par ailleurs irrésistible de vaillance vocale et de verve scénique. Il brûle à ce point les planches qu'il en éclipserait presque son maître Don Giovanni incarné par Jean-Sebastien Bou. Rien à reprocher à la belle voix saine, bien centrée et formidablement projetée de celui-ci si ce n'est une certaine raideur dans l'expression. Sa prestance et son élégance sont incontestables mais, pour nous embraser à coup sûr dans cette mise en scène, on le souhaiterait plus irrésistiblement et naturellement incendiaire.  Il n'en demeure pas moins une très belle prestation et un jeu de rôle mené tambour battant avec Robert Gleadow et l'ensemble de la troupe. Du très beau théâtre.
 
Philippe Carbonnel

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Mozart : Don Giovanni -  Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 5 décembre ; prochaines représentations les 7, 9, 11, 13 et 15 décembre 2016 / www.concertclassic.com/concert/don-giovanni
 
Photo © Vincent Pontet

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