Opéra de Paris : une Carmen sans surprise vue par Calixto Bieito

- Publié le 14 mars 2017 à 18:31
Photo Vincent Pontet Opera national de Paris
L'Opéra de Paris reprend la mise en scène de Calixto Bieito, qui a déjà beaucoup tourné à travers le monde. Heureusement, le Don José de Roberto Alagna est là pour sauver l'honneur du chant.

Rien de bien neuf sous le soleil. L’Opéra de Paris a beau vendre cette Carmen comme un « nouveau spectacle », en réalité, le lyricomane assidu connaît déjà cette production : créée à Barcelone, elle y a été filmée en 2011 (le DVD est publié par C Major), avant d’être reprise à Londres, Palerme, Venise, Turin, Boston, San Francisco, Oslo… Et depuis Otto Preminger (Carmen Jones, 1954), des versions actualisées du chef-d’œuvre de Bizet, on en a vu par dizaines.

C’est dans l’Espagne de Pedro Almodovar et de Bigas Luna que Calixto Bieito semble vouloir situer le drame, mais sans la fantaisie déjantée qui fait le charme du cinéma de la Movida. Le metteur en scène choisit au contraire la voie d’un dépouillement qui serait salutaire s’il n’était troublé, aux actes II et III, par un encombrant ballet de berlines transformant le plateau en circuit automobile. Pour tout décor, un grand cyclorama noir, une cabine téléphonique à l’acte I, quelques accessoires… Et au IV, un simple cercle tracé à la craie sur sol. C’est dans l’ascétisme extrême de ce finale, que la proposition trouve enfin sa force. Ecrasée par des lumières torrides, la kermesse exulte, avant le pas de deux mortifère des âmes perdues de Carmen et Don José.

C’est là, aussi, que Bieito rend à la cigarière sa dignité de tragédienne regardant son destin droit dans les yeux. Auparavant, il a plutôt tendance à en faire un personnage assez conventionnel de bimbo travaillée par les démons du sexe, mains sur les hanches ou cuisses écartées. Cela n’aide pas Clémentine Margaine à soigner l’élégance de son incarnation. D’autant que cet opulent mezzo, prodigue en ports de voix et graves poitrinés, est plus enclin aux rugissements de tigresse qu’aux miaulements de chatte sur un toit brûlant.

D’élégance, la délicate Micaëla d’Aleksandra Kurzak n’en manque guère, n’était une fâcheuse tendance au cri pendant son air. Et son élocution est tout à fait correcte, ce qui n’est pas le cas de Roberto Tagliavini, Escamillo sans grand éclat, courant après son grave. Avec Vanina Santoni (Frasquita), Antoinette Dennefeld (Mercedès), François Lis (Zuniga) ou encore Jean-Luc Ballestra (Moralès), les petits rôles ont été finement distribués, à la gloire du chant français.

Après le forfait de Lionel Bringuier, c’est l’Italien Giacomo Sagripanti qui a pris le relais. Le geste est preste, efficace, n’évitant pas, dans l’acoustique il est vrai piégeuse de Bastille, quelques désordres (les chœurs de l’acte I, le quintette du II…).

Ne vous inquiétez pas, on n’a pas oublié Don José : on le garde pour la fin. Egal à sa légende, Roberto Alagna fait une fois de plus resplendir au zénith le grand soleil d’une diction et d’un timbre miraculeux. Et avec ça des phrasés de miel pendant « La Fleur », couronnés d’un si bémol piano du plus bel effet, le cœur sur les lèvres, aucun écart expressionniste. Bientôt trois décennies que ça dure… pourvu que ça dure !

Carmen de Bizet. Paris, Opéra-Bastille, le 13 mars.

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