Musikalische Leitung : Omer Meir Wellber
Regie : Philipp Stölzl
Regiemitarbeit : Philipp M. Krenn
Bühne : Heike Vollmer, Philipp Stölzl
Kostüme : Anke Winckler
Licht : Michael Bauer
Dramaturgie : Benedikt Stampfli
Chor : Stellario Fagone
Andrea Chénier : Jonas Kaufmann
Carlo Gérard : Luca Salsi
Maddalena di Coigny : Anja Harteros
Bersi, Mulattin : J'Nai Bridges
Gräfin von Coigny : Doris Soffel
Madelon : Elena Zilio
Roucher : Andrea Borghini
Pierre Fléville : Nathaniel Webster
Fouquier-Tinville : Christian Rieger
Mathieu : Tim Kuypers
Der Abate : Ulrich Reß
Incroyable : Kevin Conners
Haushofmeister : Anatoli Sivko
Schmidt : Anatoli Sivko
Dumas : Kristof Klorek
  • Bayerisches Staatsorchester
  • Chor der Bayerischen Staatsoper
Nationaltheater Munich, 22 mars 2017

Andrea Chénier fait son entrée à la Bayerische Staatsoper, mais pas à Munich où l’œuvre a été représentée en 1975 (Theater am Gärtnerplatz). Si c’est un pilier du répertoire italien, il se fait relativement rare quand on pense que la Scala ne l’a pas reproposé depuis 1985 (Production dirigée alors par Riccardo Chailly avec Marton – et précédemment Tomowa Sintow‑, Carreras et Cappuccilli), même si le prochain 7 décembre à la Scala verra Chailly de nouveau au pupitre avec Anna Netrebko en Maddalena.
Pour l’occasion, la Staatsoper s’est faite révolutionnaire avec un programme donnant les paroles de
Ça ira, de La Carmagnole et de La Marseillaise, et distribuant via un crieur public la Déclaration des droits de l’homme à l’entracte. Il est vrai que Philipp Stölzl n’a pas lésiné sur le spectaculaire. Comme pour Mefistofele la saison dernière, c’est une entrée alla grande, avec le couple mythique du lieu, Jonas Kaufmann et Anja Harteros.

Premier tableau

Andrea Chénier est le type même d’opéra qui ne se sauve que s’il est servi par des interprètes d’exception. C’est certes une œuvre du grand répertoire italien, mais par les temps qui courent, Giordano n’est pas vraiment favori des programmateurs internationaux. A Munich encore moins.

La Bayerische Staatsoper l’a fait entrer au répertoire le 12 mars dernier, exactement un mois après avoir remonté Semiramide après 193 ans de latence…
La production de ce drame historique a été confiée à Philipp Stölzl, qui lui aussi faisait ses débuts à Munich, et le théâtre s’est donné tout entier à la Révolution française, programme tricolore avec lexique des personnages historiques dont il est question dans l’opéra, paroles de Ça ira, la Marseillaise et La Carmagnole et distribution par crieur public (en italien !) de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, dûment traduite dans la langue de Goethe.
Philipp Stölzl, qui est un cinéaste, raconte une histoire et cherche à raconter la grande histoire en se plongeant vers les souvenirs des grandes fresques historiques des années 20 ou 30 à la Abel Gance,  tout en évoquant aussi la peinture de Greuze évoquant les petits et les sans grades. Dans des décors monumentaux, sortes de maisons de poupées géantes construites en coupe et laissant voir différents niveaux, et à chaque niveau des scènes annexes à la scène principale, il installe l’histoire d’André Chénier, le poète guillotiné, bien peu (encore moins que peu) célébré aujourd’hui dans nos écoles, et dont la seule trace encore connue (et seulement des amateurs d’opéra) est celle de l’œuvre de Giordano. C’est par l’imagerie d’Epinal, que Stölzl entre dans l’histoire. S’adressant à un public allemand qui a la révolution française dans ses livres d’histoire, mais pas dans ses gènes comme un public français, il construit une fresque, spectaculaire, qui multiplie les points de vue, un peu comme si on feuilletait un livre d’images, une bande dessinée historique.
Le livret de Luigi Illica traverse la révolution de 1789 à 1794. Le poète André Chénier a rencontré Maddalena, la fille de la comtesse de Coigny en une fête où l’incompréhension des aristocrates est patente face à la misère du peuple, dont Gérard, maître d’hôtel et amoureux en secret de Maddalena, chante le malheur (1er tableau)

Les trois tableaux suivants se passent en pleine Terreur, en 1794. Madeleine a retrouvé Chénier et ils s’aiment, mais sont poursuivis par Gérard, toujours amoureux de la jeune fille. Arrêté, Chénier va être condamné à mort malgré l’intervention de Gérard, ému par une Madeleine dévastée. Elle prendra la place d’une autre condamnée et montera sur l’échafaud avec le poète.

Stölzl joue donc avec cette histoire pour essayer de montrer les ambiances révolutionnaires, la population hostile, les séances agitées du tribunal révolutionnaire, sans forcément identifier les gentils et les méchants, mais plutôt les excès habituels de toute révolution. Le premier acte dénonçait l’immobilisme et l’incompréhension du monde aristocratique à la veille de 1789, les tableaux suivants constituent moins une dénonciation historique, qu’une histoire d’amour sur fond de révolution. Une révolution vue par le livret servant le fonds de commerce de l’imagerie traditionnelle. Et le metteur en scène s’en est servi, non sans alimenter les images scéniques de sa culture cinématographique ou picturale, et veillant à ne pas se montrer manichéen. D’ailleurs le livret lui-même à cet égard est clair, puisque Gérard, qui pourrait être le méchant, finit, par amour et par amitié, par être solidaire du couple, affichant à la fois humanité et totale générosité.

On a reproché à Stölzl de montrer dans le tableau final le bourreau, en réalité le personnage de Mathieu, dont il fait une sorte d’ombre portée de la révolution (excellent Tim Kuypers), montrer la tête de Chénier au peuple. Crime de lèse-kaufmannité ? En tous cas certains ne semblent pas avoir apprécié ce final, lui aussi traditionnel de l’imagerie révolutionnaire marqué ici par une petite touche d'ironie. Il aurait pu aussi peut-être éviter pendant la mamma morta, de montrer dans un coin du décor le cadavre ensanglanté de la Comtesse de Coigny : c’est redondant, un peu excessif, et donc ne s’impose pas. Trop de pathos tue le pathétique.

Au total néanmoins un travail attentif aux mouvements des foules, bien réglé sur les individus avec une conduite d’acteur précise, et juste – il faut dire que c’est assez facile avec Kaufmann et Harteros. C’est tout à l’opposé d’un travail conceptuel, bien difficile sur cette histoire, mais ça n’est pas non plus une mise en scène seulement illustrative et « traditionnelle ». C’est au contraire un travail référencé, élégant, qui doit beaucoup à un œil cinématographique et qui sert l’esprit de l’œuvre, écrite en 1896.
L’œuvre d’Umberto Giordano ne tient aujourd’hui que par une distribution hors normes, elle est suffisamment rare sur les scènes, peu connue en dehors de l’Italie, même s’il y a eu des productions marquantes au MET ou à Londres. On en reparle aujourd’hui parce que Jonas Kaufmann s’est intéressé au rôle.
Et il faut bien le reconnaître, nous sommes devant une soirée exceptionnelle, et pas seulement pour les trois grands protagonistes.
Et d'abord our la direction musicale de Omer Meir Wellber. Le chef israélien de 36 ans qui avait créé à Munich aussi la saison dernière avec succès Mefistofele de Boito, réussit peut-être mieux dans Andrea Chénier parce qu’il maîtrise mieux les volumes et fait ressortir les qualités de cette musique moins tonitruante qu’il n’y paraît. Le Bayerisches Staatsorchester est comme toujours excellent, et le son produit est particulièrement clair, laissant transparaître de jolis moments, et des détails intéressants de la partition. Cette direction particulièrement attentive au chant, et très lyrique confirme l’intérêt de ce chef qui fut l’assistant de Daniel Barenboim à Berlin et à la Scala, qui travaille beaucoup en Allemagne, notamment au Semperoper de Dresde, mais qu’on a vu aussi en Italie, à Vérone, Venise et les prochains mois à Palerme. Dans le répertoire italien, son Aida a marqué beaucoup de spectateurs, Omer Meir Wellber réussit à faire entendre des raffinements dans une musique qui n’a pas la réputation d’en regorger et dans le rendu général, il prend bien soin des équilibres sans jamais mettre en danger le chanteur, avec un sens du crescendo et du pathos qui convient parfaitement à cette musique, sans jamais exagérer et tomber dans la vulgarité, qui peut être un danger.
Il faut entendre Anja Harteros dans le duo du deuxième tableau, quand, elle rencontre Chénier et qu’elle tombe dans ses bras : il faut entendre l’art des notes filées, du souffle retenu, l’art de la modulation dans ce spero in voi qui clôt son air pour comprendre que nous sommes là devant la plus belle Maddalena qui nous ait été donné d’entendre. Le contrôle de la voix est total, le timbre velouté, l’art du chant à son sommet, avec une incroyable capacité à diffuser l’émotion (son air la mamma morta tire les larmes). C’est là un sommet qui dépasse de très loin les dernières Maddalena entendues, et dans le passé, ni Marton, ni Tomowa Sintow ne réussirent à être aussi convaincantes et à raffiner à ce point le chant. Scotto, peut-être ? Anja Harteros a été sublime de bout en bout, elle incarne une jeune Maddalena, une Maddalena d’une fragilité inhabituelle dans un rôle plutôt chanté par des voix grandes qui n’expriment pas forcément cette fragilité-là et c'est bouleversant.
Inutile non plus de gloser sur Jonas Kaufmann, qui prête son timbre plutôt sombre à un personnage moins lumineux qu’un Carreras (sublime) ou un Domingo, mais qui rend parfaitement l’image du poète (en ce sens, ses interprétations de Werther ont pu l’aider). Son chant est d’une intensité rare, et il faudrait être bien pointilleux pour voir des faiblesses. Tous est ici expressivité, subtilité, sans abuser des notes filées dont il est friand, mais soignant la ligne de chant, soignant les passages à l’aigu très assurés mais ne forçant jamais la voix, aidé aussi par un orchestre qui le sert par sa finesse. Et il est évidemment entraîné par Anja Harteros : quand ils chantent ensemble il se passe quelque chose de particulièrement vibrant. Il y a eu jadis Freni-Pavarotti, il y a Harteros-Kaufmann. Ils sont tout simplement grandioses.
Luca Salsi était Gérard, un rôle qui exige un baryton au volume et à l’aigu assurés. Luca Salsi a les deux et il campe un personnage particulièrement solide, plutôt jeune, doué d’une impeccable diction. Il a exactement la voix du rôle et s’impose dès le premier tableau. Il sait incarner, et sait passer par des variations d’émission et de couleur du « méchant » à l’humain. Dans un rôle où l’on peut aussi surjouer, il reste (grâce aussi à la direction et aux partenaires) dans un bel équilibre. Gérard est un des grands rôles de baryton du répertoire italien, dans lequel Piero Cappuccilli a longtemps été irremplacé, mais Luca Salsi en est un digne successeur.

Il n’y avait pas que les protagonistes à emporter la salle dans un délirant enthousiasme : il y a aussi dans Andrea Chénier la scène de Madelon, un des moments les plus émouvants qu’on confie généralement à une mezzosoprano en fin de carrière, un rôle-air où l’expression et la tension doivent transparaître, un de ces moments où l’action se suspend. Madelon qui a perdu un fils à la guerre, vient confier son dernier fils pour qu’il réponde à l’appel de la patrie en danger. Un air, mais aussi un grand moment de théâtre : c’était Elena Zilio, dont la première apparition à la Scala remonte à 1972, et qui désormais est une Mamma Lucia, une Madelon, quelquefois une Quickly. Sa Madelon est un moment d’intense émotion, la voix est puissante, expressive, chaque mot est pesé, tout vibre dans ce chant qui est chant du cœur :  triomphe personnel tout à fait justifié.

Dans les rôles de complément, Doris Soffel est moins à l’aise dans Madame de Coigny que dans Clytemnestre (le chant italien a ses dangers), en revanche Andrea Borghini est très à l’aise dans Roucher, Tim Kuypers particulièrement élégant dans Mathieu, avec une impeccable diction, vu par la mise en scène comme personnage inquiétant personnalisant la révolution. En Bersi, la jeune américaine J’Nai Bridges montre outre une présence scénique efficace, une voix bien timbrée, bien projetée, et un bel aigu, tandis que les habituels Ulrich Reß (l’abbé) et Kevin Conners (Incroyable) remplissent comme d'habitude leurs rôles avec efficacité, avec une petite réserve pour le Fréville de Nathaniel Webster, qui n’arrive pas à projeter la voix et se trouve facilement couvert au premier tableau par l’orchestre.
Quand l’opéra est servi par de tels artistes et soutenu par un orchestre vraiment efficace, quand le chant atteint un tel niveau, on aime Andrea Chénier… Non ! on en redemande.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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