Critique – Opéra et Classique

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy

En noirceurs et mystères, une ténébreuse affaire

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy

L’unique opéra de Claude Debussy revient au Théâtre des Champs Elysées après dix ans d’absence. Sa dernière apparition dans la mise en scène de Jean-Louis Martinoty n’avait pas, malgré son excellence musicale, laissé de bons souvenirs (voir WT du 21 juin 2007). La nouvelle production signée Eric Ruf, l’actuel patron de la Comédie Française, laissera sans doute sa noire empreinte dans les mémoires. La nuit et l’eau, l’eau et la nuit, tracent le fond et la forme de sa mise en scène et de ses décors. Car Ruf, comédien et chef de troupe est aussi scénographe, et, en tant que tel, avait déjà signé quelques décors pour ce même théâtre.

Noirs et gris, des filets de pêches sont suspendus dans le vide, des cordages verticaux délimitent quelques espaces puis s’éclipsent pour découvrir la paroi d’un mur courbe de même grisaille. Le château d’Allemonde est un mur. La chambre de Mélisande s’y inscrit dans un rectangle d’or panaché de vermeil. La chevelure de Mélisande s’en échappe longue, interminable, purement symbolique dans les bras d’un Pelléas qui en étreint la masse comme un corps de femme. Une chevelure rousse, version agrandie, allongée des vrais cheveux roux de Patricia Petibon qui transforme sa Mélisande en une poupée de luxe venue d’on ne sait où. Le couturier Christian Lacroix lui a confectionné des tenues pailletées pour grandes soirées bourgeoises. Un point de vue opposé à celui généralement attribué à ce personnage semi réel de femme enfant mais qui, étrangement, la rend encore plus étrangère au monde qui l’a accueillie.

Un monde en poésie symboliste que Debussy a découvert dans la pièce de théâtre du poète belge Maurice Maeterlinck, une pièce dont il a voulu rehausser les dialogues par sa musique. Pas vraiment pour en faire un opéra dans le sens traditionnel, mais plutôt pour en tirer une forme de théâtre mis en musique, créant ainsi, sans le savoir ni le vouloir, la première ébauche de ce qui deviendra au cours du XXème siècle le théâtre musical. La mer, tant aimée de Debussy y est omniprésente, le sujet est aquatique. Les personnages parlent en chantant, la sonorité des mots, leur lisibilité ordonnance leurs chants. Et les chanteurs sont comédiens à part entière.

Patricia Petibon entre dans cette Mélisande en réserve d’elle-même, plus femme qu’enfant, la voix à la fois claire et retenue et le jeu en une sorte de point d’interrogation sur le sens de sa vie. Jean-Sébastien Bou donne une ardeur contrôlée à son Pelléas, une gravité qui s’étale sans passion tandis que le baryton basse Kyle Ketelsen propose le Golaud le plus étourdissant vu et entendu depuis longtemps. Cet américain globe-trotter lyrique est le seul interprète non-francophone de la distribution et le mieux audible : il parle et chante sans l’ombre d’un accent, polissant chaque syllabe comme une pierre précieuse. Son Golaud, encore jeune à la voix chaude et ombrée, explose d’amour, d’humanité et de désespoir. Arkel, l’ancêtre, a la carrure physique et vocale et la dignité de la basse Jean Teitgen qui en fait un sage compatissant sachant raison garder. La toute jeune Jennifer Courcier prête innocence et clarté à l’enfant Yniold, Sylvie Brunet-Grupposo ne contient pas toujours ses vibratos dans le bref rôle de Geneviève.

Louis Langrée dans la fosse, pour la première fois à la tête de l’Orchestre National de France, met en fête ce Debussy dont il connaît chaque note, chaque page, chaque soupir, chaque silence. Attentif aux chanteurs, il ne force jamais les doses mais sait, en ouverture de chaque tableau, trouver en finesse et netteté la chair du son Debussy, sa transparence et son agilité.

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy d’après la pièce poème de Maurice Maeterlinck. Orchestre National de France, direction Louis Langrée, chœur de Radio France, direction Marc Korovitch, mise en scène et scénographie Eric Ruf, costumes Christian Lacroix, lumières Bertrand Courderc. Avec Patricia Petibon, Jean-Sébastien Bou, Kyle Ketelsen, Jean Teitgen, Sylvie Brunet-Grupposo, Jennifer Courcier, Arnaud Richard.

Théâtre des Champs Elysées, les 9, 11, 13, 15 & 17 mai à 19h30
01 49 52 50 50 – www.theatrechampselysees.fr

Photos Vincent Pontet

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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