dimanche 2 juin 2024

CRITIQUE, opéra. DIJON, Auditorium R Poujade, le 29 avril 2023. LULLY : Armide. S. d’Oustrac, C. Auvity, M. Perbost, E. Zaïcik… D. Pitoiset / V. Dumestre.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Dans cette nouvelle production d’Armide (1686) de Jean-Baptiste Lully à l’Opéra de Dijon – dans une mise en scène que le nouveau maître des lieux (Dominique Pitoiset) s’est auto-confiée -, c’est la musique qui sort en premier vainqueur de toutes les composantes du spectacle. De fait, dès la courte Ouverture, Vincent Dumestre donne le ton : rien ne pèse dans sa direction: vivante, souple, entraînante. Rien ne pose non plus, tant le discours avance, tant les danses donnent envie de bouger, tant la partition chante à chaque mesure. Variées et raffinées, les sonorités du Poème harmonique, fondé en 1998 par le chef, sont un ravissement. A ceux qui pensaient que Lully rimait avec emphase et solennité, Dumestre apporte un cinglant démenti. La 11ème et ultime « tragédie lyrique » écrite en collaboration avec Philippe Quinault brille de mille feux, ce soir, dans le pourtant vaste vaisseau que constitue l’Auditorium Robert Poujade de Dijon !

Pour le reste, la représentation repose surtout sur le très lourd rôle-titre dans lequel l’incontournable (dans ce répertoire) Stéphanie d’Oustrac s’engage entièrement et magnifiquement. Avec son habituel tempérament de feu, le personnage lui va à merveille ; elle lui apporte également son superbe timbre, ses aigus solides, ses graves larges et sonores, beaucoup de nuances dans le chant et une incroyable séduction scénique, dans ses multiples robes affriolantes… au point où l’on se demande comment Renaud peut bien lui résister ! Après un admirable « Enfin, il est en ma puissance », elle sait trouver, pour finir, des accents déchirants dans son monologue final – qui prennent à la gorge et lui valent un beau triomphe personnel, amplement mérité au moment des saluts.
D’autant que son environnement est de haut niveau, tant du côté des dames que des hommes. Quel luxe que d’avoir Marie Perbost et Eva Zaïcik pour prêter leurs délicieuses voix non seulement aux Allégories (La Sagesse et La Gloire au Prologue) et aux Suivantes d’Armide (Phénice et Sidonie), mais aussi aux fausses amoureuses d’Ubalde et du Chevalier danois.

Après tant de hautes-contre vaguement éthérées dans le rôle de Renaud, quel bonheur d’entendre un Cyril Auvity au timbre plus viril que de coutume dans cet emploi, à la voix libre et limpide, parfaitement prononcée et projetée (superbe « Plus j’observe ces lieux, et plus je les admire »), et à la touchante présence scénique. La basse québécoise Tomislav Lavoie campe un très solide Hidraot (ici grimé en aveugle, lunettes noires chaussées sur le nez, et canne de circonstance) avec sa voix pleine et sonore et un timbre flatteur, tandis que le jeune baryton Timothée Varon offre une Haine déchaînée (terrifiant « Je réponds à tes vœux » !), à la vocalité musclée (également en Artémidore). Le ténor (baroque) montpelliérain David Tricou (Le Chevalier danois, L’Amant fortuné) maîtrise à la perfection un art de la diction – voyelles inaltérées par une émission haute et claire, consonnes percutantes – que l’on goûte sans modération. Et quel acteur dans son numéro de crooner survolté au V ! Enfin, la basse Virgile Ancely (Aronte et Ubalde) a lui aussi une vraie conscience du style et des enjeux de la déclamation lulliste. De son côté, le Chœur de l’Opéra de Dijon est fidèle à sa réputation : impeccable, en place, magnifiquement musical (préparé par Anass Ismat).

GRAND AMPHITHÉÂTRE BLANC... Désormais bien installé dans les mœurs lyriques contemporaines, l’opéra baroque n’en finit pas de surprendre, d’autant qu’il trouve aujourd’hui des metteurs en scène capables de le bousculer et prendre à son égard des libertés salutaires – comme ce fut déjà le cas, in loco, avec « Les Boréades » de Rameau mises en scène par le trublion australien Barrie Kosky.
Avec un peu moins de bonheur que son collègue « magicien », Pitoiset propose une version assez confuse et compliquée de l’ultime chef d’œuvre de Lully. Il transpose l’action (en signant lui-même la scénographie) dans un grand amphithéâtre blanc, qui pourrait être celui d’une faculté moderne (mais tout aussi bien les gradins d’une piscine olympique !), avec son escalier central et sa rambarde devant le premier rang. Le fond de scène sert de réceptacle, par intermittence, à des images vidéo (conçues par Emmanuelle Vié Le sage) de belle eau (architecture antique, dunes dessinées par le vent…) – ou à des tableaux vivants comme cette image où une dizaine d’hommes sont exhibés derrière des vitrines comme autant de prises de guerre, plus tard remplacés par des silhouettes féminines posant lascivement comme dans les cabines d’un sex-shop. Au cinquième acte, la fameuse (et sublime) Passacaille inspire particulièrement Pitoiset – qui prend prétexte des refrains « Les plaisirs ont choisi pour asile ce séjour agréable et tranquille » et « Dans l’hiver de nos ans, l’amour ne règne plus, les beaux jours que l’on perd sont à jamais perdus » – pour situer l’action dans un EHPAD (à l’instar de Warlikowski dans sa célèbre mise en scène parisienne d’Iphigénie en Tauride…), avec un personnel soignant en blouse bleue et des patients atteints de pathologies dégénératives, plus un crooner en smoking à paillettes (accompagné de six « Clodettes » !) pour égayer ce triste tableau de personnes en fin de vie. On y voit ce malheureux Renaud, guère mieux en point bien que beaucoup plus jeune, être atterré au moment de découvrir que le test de grossesse d’Armide s’avère positif ! Pas de destruction du palais d’Armide comme scène finale, donc, mais au contraire la vie qui poursuit son cours avec l’enfant à naître…
Avouons qu’il est plutôt difficile de comprendre où le metteur en scène veut nous mener, avec une conclusion certes pleine d’espoir mais qu’on a néanmoins du mal à déchiffrer… Notons cependant que ce spectacle souvent déroutant bénéficie du concours particulièrement efficace de la chorégraphie de Bruno Brenne (et ses six excellents danseurs de sa Compagnie Beaux-Champs), qui allie références au classicisme du XVIIe siècle et danse contemporaine, pour culminer dans ce numéro aussi virevoltant que drôle pendant la Passacaille que l’on vient d’évoquer.
Une séance de rattrapage est possible à ceux qui auraient manqué les représentations bourguignonnes (et qui sont amateurs d’énigmes…), car le spectacle sera repris dans le somptueux (et plus adéquat) écrin de l’Opéra royal de Versailles : du 11 au 14 mai 2023.

 

 

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CRITIQUE, opéra. DIJON, Auditorium Robert Poujade, le 29 avril 2023. LULLY : Armide. S. d’Oustrac, C. Auvity, M. Perbost, E. Zaïcik… D. Pitoiset / V. Dumestre. Photos © Mirco Magliocca

 

 

 

VIDÉO : Teaser d’Armide de Lully à l’Opéra de Dijon

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