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«Così fan tutte» à l’âge de la téléréalité

A l’Opéra de Lausanne, le metteur en scène français Jean Liermier transpose l’action dans les années 2000 et dirige avec justesse les comédiens-chanteurs. Une réussite, malgré un concept un peu alambiqué au départ

«Così fan tutte». — © Alan Humerose/Opéra de Lausanne ©
«Così fan tutte». — © Alan Humerose/Opéra de Lausanne ©

Così fan tutte transformé en émission de téléréalité ? Il fallait y penser. Après tout, cet opéra met en scène l’épreuve du désir à travers une expérience fabriquée de toutes pièces. On pourrait même parler d’expérimentation, tant le pari lancé par un vieux philosophe cynique (Don Alfonso) pour tester la fidélité de deux jeunes sœurs, sous forme de duperie amoureuse, emprunte des chemins détournés et sournois.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

Lire aussi: Jean Liermier: «La manipulation dans «Così fan tutte» est identique à celle d’une téléréalité»

Dérapages érotiques

A l’Opéra de Lausanne, c’est Jean Liermier qui signe la nouvelle mise en scène. Très beaux costumes, attention portée au détail, jeu de scène alerte, attitudes très justes : tout restitue l’état d’esprit de Così fan tutte. Et pourtant, le concept de téléréalité ne va pas de soi au départ. Si tout commence comme une lecture classique du XVIIIe siècle, avec des décors et costumes historiques, bientôt une équipe de télévision déboule sur le plateau pour filmer les candidats. En plus des cameramen, une scripte tend parfois des accessoires aux protagonistes.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

On comprend dès lors qu’il s’agit d’une pure mise en scène – comme dans Loft Story ou L’île de la tentation – destinée à éprouver les cœurs par le biais de la tentation physique et amoureuse. De cette fiction télévisée, vécue en direct par le public, les candidats, brassés dans leurs sentiments, leurs désirs, ne sortiront pas indemnes.D’abord un peu alambiqué, le concept de téléréalité prend tout son sens dans la deuxième partie du spectacle.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

On passe sans cesse de l’action proprement dite sur le plateau aux écrans de télévision dans les coulisses de l’émission. Ferrando et Guglielmo changent de costumes pour tromper leurs dulcinées. Portant sweatshirt à capuche et veste, les cheveux ondulés orientalisants, ils sont méconnaissables !

Dorabella et Fiordiligi, qui avaient pourtant juré fidélité à leurs fiancés respectifs, vont tomber dans le piège. Encouragée par la domestique Despina qui ironise sur les serments trompeurs de la fidélité, Dorabella sera carrément métamorphosée par sa rencontre avec le faux Guglielmo, séducteur en diable!

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

La scène se passe sur un lit où elle finit les jambes en l’air tandis que Ferrando assiste, incrédule, à la scène filmée. La douleur de se voir tromper amène les deux garçons à rager intérieurement et à boire – mais aussi à se moquer l’un de l’autre. Don Alfonso sort triomphant de son subterfuge, aidé par une Despina aussi rouée que rusée.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

Despina formidable

L’Espagnole Susana Cordón – une découverte! – campe une domestique (Despina, donc) d’une truculence géniale. La belle Valentina Nafornita (Fiordiligi) se heurte à la tessiture diablement escarpée d’un rôle exigeant. Si la soprano roumaine manque un peu de graves, elle possède de beaux aigus expressifs, mais gare au vibrato… Quant à Stéphanie Guérin, c’est une voix encore un peu verte que l’on souhaiterait plus ronde; la mezzo-soprano française personnifie cependant bien le revirement de Dorabella lorsque celle-ci succombe aux charmes de Guglielmo.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

Du côté des hommes, le Canadien Robert Gleadow fait valoir son timbre mâle et animal en Guglielmo, très crédible de surcroît scéniquement. Le jeune Joel Prieto se montre plus emprunté vocalement: pas toujours très juste, il manque de candeur pour les airs suaves de Ferrando. Bruno de Simone en Don Alfonso – qui parle plus qu’il ne chante – s’appuie sur un métier formidable.

© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©
© Alan Humeros/Opéra de Lausanne ©

Une distribution inégale, donc, que le jeu de scène rattrape pour les insuffisances vocales. Quant à Joshua Weilerstein, le jeune chef américain dirige avec esprit, pétillant, faisant avancer l’action. Il ne manque qu’un supplément de souplesse, mais l’Orchestre de chambre de Lausanne a les couleurs idéales pour cette musique.

«Così fan tutte» à l’Opéra de Lausanne, jusqu’au 7 novembre. www.opera-lausanne.ch