Élu meilleur établissement lyrique du monde en 2017, l’Opéra Nouvel, en partenariat avec l’Auditorium de Lyon, a réussi un nouveau coup de maître grâce à la baguette de son jeune et talentueux chef Daniele Rustioni. Ce Nabucco rentrera dans les annales : une distribution de solistes remarquables, un son d’orchestre soigné jusqu’au moindre détail, des chœurs somptueux.

Pendant que l’Orchestre National de Lyon (parti à la Philharmonie de Berlin ce lundi 5 novembre) laisse place vacante à l’Auditorium, l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon y prennent leurs aises avec un naturel déconcertant. L’ouverture déjà annonce la couleur de cette soirée lyrique d’une envergure exceptionnelle. Daniele Rustioni y cultive le contraste entre la délicatesse d’un trio de trombones soyeux et un tutti aussi puissant que précis. Nerveuses mais groupées, les cordes font danser les archets ; envoûtants, les hautbois et clarinette solos dessinent les premières variations du « Va, pensiero » sur fond de pizzicati. L’équilibre y est, la précision, la justesse, la profondeur du son. Le finale de cet apéritif sonore de l'opéra est une véritable claque – comme il y en aura beaucoup ce soir.

Prenant le relais, les chœurs s’introduisent avec vivacité, équilibre et esprit : leur diction et leur engagement enchantent tout au long de l’œuvre. Irréprochables ce soir, les choristes dosent savamment leurs nuances, répondent comme un seul homme aux sollicitations du chef, créent des atmosphères qui donnent la chair de poule. Il est rare qu’un tube tel que « Va, pensiero » émeuve à ce point : tièdes et suaves, les nuances du chœur sont délicates et élégantes ; le crescendo s’amplifie sans forçage, telle une houle puissante. Il faut décidément féliciter Christophe Heil pour une préparation aussi circonspecte des chanteurs.

La qualité d’un opéra en version de concert, évidemment, est avant tout fonction de celle des solistes. Or, la distribution lyonnaise convaincra aussi le Théâtre des Champs-Élysées et l’Opéra de Vichy cette semaine, on en est sûr. Invité de dernière minute en remplacement de Leo Nucci, le baryton mongol Amartuvshin Enkhbat en impose dans le rôle de Nabucco, qu’il maîtrise comme s’il avait été écrit pour lui-même, plus italien que les Italiens. Son timbre richissime aux harmoniques fondus est un régal, autant que sa technique ultraperformante. Hautement expressif en dépit d’une économie de gestes, son autorité s’impose par ses cordes vocales. Enkhbat suscite sans peine le pathos dans sa prière émouvante « Dio di Giuda » – ce verdien de premier rang mondial rend tout à fait crédible la restauration de la force et des sens du souverain babylonien par la transcendance. 

Incarnant la princesse usurpatrice Abigaill, Anna Pirozzi joue parfaitement ce caractère complexe plein d’hybris, de méchanceté, traversé par des failles profondes. Elle s’impose comme autre grande voix au début de la deuxième partie (« Anch'io dischiuso un giorno ») : puissante et colorée, elle transmet la fureur de son personnage avec aisance, époustouflante dans ses demi-teintes et vocalises.

Si on remarque moins aujourd’hui Enkelejda Shkoza que récemment dans le rôle-titre d’Aida à Nancy, c’est seulement parce que ce mezzo-soprano albanais très riche, doté d’une solide technique, est limité par la faible extension de son rôle : à Fenena, aimée par Ismaele (Massimo Giordano, ténor séduisant et prometteur), est offerte nettement moins d’attention dans le livret qu’à sa sœur intrigante. Mentionnons encore dans cette distribution étincelante Riccardo Zanellato, un Zaccaria à la stature et à la voix verdiennes, Martin Hässler, basse d’une étonnante maturité (Grand Prêtre), puis le soprano Erika Baikoff, en Anna très volontaire.

Le plaisir de tous les intervenants est aussi sensible que contagieux : le public de l’Auditorium est sur les chaises, conscient d’avoir assisté à un événement d’exception. Daniele Rustioni a conféré en peu de temps une nouvelle jeunesse et une nouvelle qualité à l’orchestre de l’Opéra de Lyon, pour lequel cette œuvre italienne est une très belle vitrine. Qu’on se le dise : ce Nabucco lyonnais, c’est Verdi sans la pasta, c’est de la patine sans le gras, c’est de la magnificence sans arrogance.

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