Encore un pari réussi pour l'Opéra de Lyon ! Après un Enfant et les Sortilèges remarqué il y a deux ans, le metteur en scène James Bonas est de retour pour présenter l'autre chef-d'œuvre lyrique de Ravel, assisté de Grégoire Pont à la vidéo. Le résultat, jubilatoire, balance joyeusement entre le music-hall, le vaudeville, le film d'animation et le burlesque façon Buster Keaton, porté par un Orchestre de l'Opéra de Lyon toujours plus exemplaire au fil des productions. Anatomie d'une boîte à musique à la mécanique ciselée.

Tic, tac ! Au lever de rideau, une horloge fait la ronde des heures. Une gigantesque vitre-écran laisse entrapercevoir l'orchestre, en arrière-scène. Mais vite, les projecteurs s'allument et les écrans s'animent. Le décor sera donc entièrement vidéo (si l'on excepte un parapluie et deux cartons, nécessaires aux gags chaplinesques de l'opéra). Noir et blanc (ou parfois monochrome), formes géométriques simples, fines silhouettes délicatement ciselées comme dans un livre pop-up : il y a quelque chose de Tim Burton dans ce décor, un raffinement et un cachet définitivement vintage, comme cette poupée dansante dont on voit la silhouette se mouvoir dans un coin de la vitrine de l'horloger. Mais surtout, ce décor est un bel objet. Une mécanique pleine de raffinement, dont on admire chacun des cliquetis. Grégoire Pont, à l'origine de ce décor vidéo, a eu le coup de génie d'étendre cette thématique de l'horlogerie à d'autres mécaniques subtiles au même charme désuet, dans des scènes au fort potentiel comique. Ainsi, les envolées lyriques de l'amant Gonzalve se déclinent à l'écran en un film des « Gonzalve productions », le projecteur de ce cinématographe de fortune étant figuré par la boîte en carton qui représentait une horloge quelques minutes plus tôt.

Un nouveau clin d'œil au cinéma comique des années 20 ? Assurément. Et d'ailleurs les costumes semblent être un autre indice. L'horloger est une souris, le muletier un taureau, la femme un chat. Comment ne pas penser à Tex Avery, ou à Walt Disney dont le metteur en scène Vuillermoz disait d'ailleurs qu'il serait le seul à pouvoir mettre en scène fidèlement L'Enfant et les Sortilèges, l'autre opéra de Ravel ?

Autre référence latente, celle du music-hall et de la comédie musicale. Celle-ci s'exprime encore par le biais du décor vidéo. Le jubilatoire finale, faisant s'envoler dans les étoiles tous les protagonistes dans une chorégraphie à la Broadway, en est un exemple. Quelques minutes avant, la vidéo figurait un escalier en colimaçon que descendait Concepción dans un geste très music-hall.

Finalement, la mise en scène est une déclaration d'amour au spectacle en général. La référence au vaudeville n'est jamais évitée, et les boîtes en carton figurant les horloges donnent même l'occasion de tours de prestidigitation, lorsque le muletier Ramiro aplatit contre un mur une boîte où le soupirant de Concepción s'était lové quelques instants auparavant.

L'aspect musical n'est pas en reste. Tous les chanteurs ont une diction impeccable, une jouissive tendance au cabotinage et une vraie compréhension des enjeux de la mise en scène. Dans le rôle de Concepción, Clémence Poussin est pétillante, tantôt langoureuse, tantôt exaspérée par la bêtise du muletier (le parfait Christoph Engel). Hilarant, Quentin Desgeorges interprète l'amoureux transi Gonzalve travesti en (chaud) lapin et, dans les autres rôles, Don Gomez (Martin Hässler) et Torquemada (Grégoire Mour) sont autant de caricatures pertinentes aux voix impeccables.

La direction de Jonathan Stockhammer a pour souci premier celui de la clarté de la ligne et de la lisibilité des timbres. Les cordes ne sont jamais brouillonnes. L'Orchestre de l'Opéra de Lyon brille d'une fraîcheur de timbre toujours plus surprenante. Le travail mené par le directeur musical Daniele Rustioni porte ses fruits. L'ensemble est d'une didactique fort juste, d'une précision exemplaire. Bravo aux musiciens !

Voici une production qui pourrait être exposée dans la vitrine de l'horloger Torquemada ; intrigante, esthétique, elle attire le regard, tant celui du passionné qui y reconnaît la justesse de ses partis pris que celui des publics moins réguliers qui apprécieront la référence à la comédie musicale et au vaudeville. En restant toujours fidèle à la musique : car à travers la vitre-écran, on aperçoit constamment la battue du chef Jonathan Stockhammer, dont la régularité et l'inventivité en font la première et la plus savante de toutes les horloges.

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