Photo : Magdalena Hueckel


L’obscurité baigne la salle de conférence au design noir. Partout des miroirs, un lavabo côté jardin. D’abord une vidéo : orage déchaîné, nature affolée, serpent rampant sur la terre – le venin, la tentation, qui pousse au seuil de la folie un Roger malade, dont les cachets peinent à apaiser l’esprit dérangé. Warlikowski ? Non, Mariusz Treliński, directeur artistique de la maison, pour son troisième Roi Roger - le premier était à Varsovie, le deuxième à Wrocław, le plus abouti parce qu’il trouvait l’équilibre entre l’imagination du metteur en scène, l’histoire et la partition.

La troisième production est pur délire. Celui de Roger, qui croit assister, au début, à ses propres obsèques et se taillade les veines à la fin du deuxième acte. Celui de Treliński, qui semble ne plus croire à l’œuvre et préfère la contourner. Les trois actes deviennent deux parties, avec un entracte après le deuxième. Le troisième, en effet, se déroule après la mort de Roger, dans un espace nu et blanc tenant à la fois du purgatoire et de l’asile de fous, où défilent des images de synthèse : vieillard chenu, Roger revoit sa vie. Roxane, elle, est enceinte – de qui au juste ? Un enfant blond remplace ensuite le soleil et c’est à lui qu’il chante l’hymne final : « mystère du sacrifice et de la renaissance », paraît-il…

Certes la direction d’acteurs est là, souverainement maîtrisée, exigeant beaucoup des chanteurs, les travaillant au corps. Et on avait aimé, à la fin du premier acte, Roger regardant le Berger à travers un miroir, moins gourou que double, voire projection de lui-même. Mais le message est brouillé, surchargé de symboles et de fantasmes où le texte n’est plus que prétexte à une effervescence trop artificielle. Le masque et les cornes de Roxane et du Berger, au deuxième acte, n’arrivent pas à suggérer un mystère antique que tout, ailleurs, tend à faire oublier. L’incroyable début du premier acte – une des pages les plus fascinantes de tout l’œuvre de Szymanowski, d’où tout sacré a ici disparu, avec des chœurs invisibles et mal sonorisés, tombe totalement à plat. On n’adhère pas un seul instant à cette vision, pour brillante qu’elle soit, parce que Treliński ne nous montre pas Le Roi Roger, mais Un Roi Roger. C’est lui qu’a mordu le serpent : à trop vouloir chercher, il s’est perdu. Alors qu’ailleurs il se répète : certains éléments viennent de son deuxième Roger, sans être intégrés aujourd’hui à une lecture cohérente. Et si Warlikowski, finalement, avec ses mickeys, sa piscine et ses vieux, était plus proche de l’œuvre ?

On n’adhère pas non plus à cause de la direction tâcheronne de Grzegorz Nowak, d’une lourdeur atone – seul le deuxième acte décolle un peu. Aucune couleur, aucune subtilité, pas la moindre moiteur capiteuse dans cette baguette échouant à clarifier l’écheveau si complexe des lignes et des sonorités. Heureusement, on entend un très beau Roger : Łukasz Goliński, voix aux harmoniques riches, aigu facile, ligne bien conduite, a de la classe en monarque déchu et tourmenté. L’aigu, en revanche, se tend trop, parfois, chez le Berger d’Arnold Rutkowski, qui néanmoins reste solide et peut se nuancer. Sans doute méritaient-ils une Roxane au timbre moins sec et plus rond qu’Elin Rombo, reine frustrée et onaniste, mais rien moins que sensuelle, que l’orchestre couvre parfois. Ironique et insinuant, le bon Edrisi de Tomasz Rak suscite et observe l'étrange relation triangulaire.

Didier van Moere

À lire : notre édition du Roi Roger : L’Avant-Scène Opéra n° 250


Łukasz Goliński (Le Roi Roger)
Photo : Krzysztof Bieli